Aller au contenu

Page:Jaurès - Histoire socialiste, I.djvu/322

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
312
HISTOIRE SOCIALISTE

chimiste, Gassini, le directeur de l’Observatoire, et enfin, le philosophe Condorcet, elle n’avait ni un plan politique très net, ni une grande décision.

Lostalot, dans les Révolutions de Paris avait dénoncé, dès le mois d’août, avec une certaine âpreté, les dissentiments des districts, la dispersion de la vie municipale : « La mésintelligence qui règne dans les districts, la contradiction de leurs principes, de leurs arrêtés et de leur police, offrent, depuis que le premier danger est passé, le spectacle d’une épouvantable anarchie. Qu’on imagine un homme dont chaque pied, chaque main, chaque membre aurait une intelligence et une volonté, dont une jambe voudrait marcher quand l’autre voudrait se reposer, dont le gosier se fermerait quand l’estomac demanderait des aliments ; dont la bouche chanterait quand les yeux seraient appesantis par le sommeil, et l’on aura une image frappante de l’état affligeant de la capitale. »

Avec cette discordance des districts et cette diversité naissante des principes dans la bourgeoisie parisienne, il était mal aisé que l’assemblée centrale eût du ressort et une marche uniforme. Aussi on peut prévoir dès maintenant que c’est par des impulsions particulières et locales, par des mouvements partiels et spontanés que Paris interviendra dans les grands événements révolutionnaires.

Quant à l’Assemblée Générale de la Commune, elle ne resta certes pas inactive ; elle administra avec bon vouloir et avec une sorte de sagesse moyenne. Elle s’employa très consciencieusement à alimenter Paris au jour le jour ; mais il ne semble pas qu’elle ait su faire entendre aux autres communes de France qui retenaient jalousement le blé pour leur consommation propre ces véhéments appels qui auraient peut-être déterminé une plus large expédition des grains vers Paris.

A l’égard des ouvriers accumulés dans les ateliers de charité à Montmartre, à Chaillot, les représentants bourgeois de la Commune eurent une politique défiante, mais point brutale. Ils voulaient présider à la dislocation de l’atelier de Montmartre qui comptait déjà plus de dix mille hommes et qui s’accroissait tous les jours des pauvres que la province rejetait sur Paris. Mais ils eurent d’abord quelques ménagements. Ils décidèrent même que la journée du dimanche serait payée aux ouvriers, l’exiguïté de leur salaire ne leur permettant pas l’interruption. Mais ils ne tardèrent pas à abaisser le taux du salaire en se plaignant de l’énormité des charges qui pesaient sur la Ville. Et enfin ils donnèrent l’ordre aux ouvriers de Montmartre de se disperser.

Lostalot qui était un démocrate et qui avait l’âme compatissante, parle avec pitié de ces hommes ; mais il désire lui aussi la dissolution de l’atelier, et il ne propose aucun plan d’ensemble pour remédier à toute cette misère :

« Il n’est pas, écrit-il, de sentiment pénible qui n’entre dans l’âme en voyant sur le même point dix mille hommes, sous des haillons, le visage