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HISTOIRE SOCIALISTE

abrutis sous le joug du despotisme, jaloux de connaître leurs droits ; tout ce qui touche le gouvernement, tout ce qui peut influer sur leur sort devient l’objet de leurs entretiens journaliers, ils lisent les papiers publics, ils veulent connaître ce qui se passe ; en Angleterre et en Amérique, il est peu d’artisans qui ne soient informés des débats des Chambres et qui ne puissent en converser.

« Eh ! qu’étaient il y a plusieurs siècles les classes de la société aujourd’hui les plus éclairées ? A peine savaient-elles lire ; elles étaient ensevelies dans des ténèbres plus épaisses que celles qui environnent nos habitants des campagnes.

« Pourquoi retenir dans l’ignorance ceux qui ont le malheur d’y être plongés ? Pourquoi profiter ensuite de cet état pour leur cacher leurs droits ?… Le recours au peuple est un des moyens les plus efficaces pour hâter le développement des lumières. »

Pétion sera un des chefs de la Gironde. Il a déjà la pensée généreuse et ample, mais un peu fuyante et incertaine qu’auront les Girondins. De même que Pétion, Salle, un futur Girondin aussi, demande l’appel au peuple sur les lois controversées entre l’Assemblée et le Roi. Il semble que ce soit là une politique hardie : mais c’est une fausse hardiesse, car, au fond, Pétion et Salle, avec ce recours au peuple, se dispensaient de refuser au Roi le veto suspensif.

Robespierre, au contraire, dans la séance du 11 septembre, va vigoureusement au but : il refuse au Roi le veto suspensif aussi bien que le veto absolu, et il dénonce comme une chimère dangereuse le prétendu recours au peuple.

« Quelques-uns, dit-il, aiment à se représenter le veto royal suspensif sous l’idée d’un appel au peuple qu’ils croient voir comme un juge souverain, prononçant sur la loi proposée entre le monarque et ses représentants.

« Mais qui n’aperçoit d’abord combien cette idée est chimérique ? Si le peuple pouvait faire les lois par lui-même, si la généralité des citoyens assemblés pouvait en discuter les avantages et les inconvénients, serait-il obligé de nommer des représentants ? Ce système se réduit donc, dans l’exécution, à soumettre la loi au jugement des assemblées partielles des différents bailliages ou districts, qui ne sont elles-mêmes que des assemblées représentatives ; c’est-à-dire à transmettre la puissance législative de l’Assemblée générale aux assemblées élémentaires particulières des diverses provinces, dont il faudrait sans doute recueillir les vœux isolés, calculer les suffrages variés à l’infini, pour remplacer le vœu commun et uniforme de l’Assemblée nationale.

« Ce qui paraît évident… c’est que, dans ce système, le Corps législatif devient nul, qu’il est réduit à la seule fonction de présenter des projets, qui