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HISTOIRE SOCIALISTE

seront d’abord jugés par le Roi et ensuite adoptés et rejetés par les assemblées des bailliages.

« Je laisse à l’imagination des bons citoyens le soin de calculer les lenteurs, les incertitudes, les troubles que pourrait produire la contrariété des opinions dans les diverses parties de cette grande monarchie, et les ressources que le monarque pourrait trouver au milieu de ces divisions et de l’anarchie qui en serait la suite, pour élever enfin sa puissance sur les ruines du pouvoir législatif… »

En assistant, dès les mois d’août et de septembre 1789, à ce conflit des deux démocrates, Pétion et Robespierre, sur cette question de l’appel au peuple, je ne puis pas oublier que quatre ans plus tard, au mois de janvier 1793, à l’heure tragique où la Convention juge Louis XVI, les Girondins veulent soumettre au peuple la sentence de mort et les Robespierristes, au contraire, repoussent ce moyen dilatoire.

Dès 1789, sur la question générale de l’appel au peuple, les positions étaient prises… Déjà, tandis que Pétion, combinant le veto suspensif du roi et l’appel direct à la souveraineté populaire, livrait la Révolution à je ne sais quel flottement généreux et timide, Robespierre, opposant à la prérogative royale une négation directe, proclamait la nécessité d’un pouvoir populaire, mais concentré et vigoureux.

Ce conflit de tendances, qui se produisait à son extrême gauche et, pour ainsi dire, à sa pointe la plus aventurée, n’émut guère, sans doute, l’Assemblée : la question du référendum n’était pas sérieusement posée devant elle et elle ne vit, sans doute, dans la thèse de Pétion, qu’une diversion ingénieuse.

C’est entre le système des deux Chambres ou d’une Chambre unique, c’est entre le système du veto absolu ou du veto suspensif sans référendum qu’était le vrai débat. L’Assemblée, cédant à l’impérieuse logique de la Révolution qui ne pouvait créer une Chambre aristocratique, décida le 10 septembre, par 490 voix contre 89 et 122 abstentions, qu’il y aurait une Chambre unique.

Cédant à la même logique révolutionnaire, qui ne pouvait subordonner définitivement la volonté nationale à la volonté royale, elle décida, le 11 septembre, par 673 voix contre 325 et 11 abstentions, que le Roi aurait le veto, mais seulement suspensif.

Quelques semaines après elle précise, dans l’article 12 de la Constitution que « le refus suspensif du Roi cessera à la seconde législation après celle qui aura proposé la loi ». À vrai dire ce n’était pas une solution et le peuple de Paris n’avait pas eu tout à fait tort de craindre que le veto absolu fut accordé au Roi ; car en période révolutionnaire, quand il faut refaire toute la législation d’un pays et opposer des actes vigoureux et rapides aux manœuvres de la contre-révolution, le Roi qui peut ajourner la volonté du législateur pen-