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HISTOIRE SOCIALISTE

dant toute la durée de la législature, puis pendant toute la durée de la suivante, et qui n’est tenu à s’incliner qu’après une troisième consultation du pays, peut laisser ainsi aux forces de réaction et de conspiration tout le loisir de s’organiser et de frapper des coups prémédités longuement. En fait, dès que le Roi appliquera l’article constitutionnel qui lui accorde le veto suspensif, toute la machine révolutionnaire subira un choc effroyable, et les Assemblées devront obtenir de lui, par la prière ou par la menace, qu’il retire son veto, jusqu’à ce qu’enfin elles suppriment le veto en supprimant la royauté elle-même. Le jour où elle lui accorda le veto suspensif, l’Assemblée nationale condamna Louis XVI à mort.

Cette solution incertaine et même, semble-t-il, un peu hypocrite, cette transaction équivoque entre le droit supérieur de la volonté nationale et le souci conservateur d’un grand nombre de membres de l’Assemblée sembla amener à Paris une détente.

Le jeudi 10 septembre, le journal les Révolutions de Paris, à un moment, il est vrai, où on ne connaissait que le vote de principe sur le veto suspensif écrivait ces lignes apaisantes : « Le refus du consentement du Roi ne pourra jamais avoir qu’un effet suspensif. La sauvegarde de la liberté nationale est donc enfin définitivement établie ». Visiblement des démocrates comme Lostalot ont été inquiétés du mouvement qui avait paru jeter Paris sur Versailles ; et ils cherchent à calmer les esprits.

Mais l’agitation de Paris était trop profonde et trop vaste pour s’arrêter ainsi. Les vantardises des aristocrates irritaient le peuple ; ils prétendaient avoir avec eux la municipalité. Elle a, disait-il, dispersé les brigands de Montmartre, et réduit au silence le Palais Royal ; ils paraissaient en attendre une sorte de contre-révolution modérée. Les patrouilles de la garde nationale devenaient de plus en plus sévères contre les rassemblements et dispersaient la crosse aux reins les « motionnaires » du Palais Royal ; suivant le mot célèbre d’une estampe, le patrouillotisme chassait le patriotisme ; des ducs, des comtes, des marquis, des agents de change étaient à la tête des compagnies.

L’irritation populaire grandissait. Le sentiment se répandait un peu partout que la Révolution allait être dupe : « Le despotisme, disait-on, était hier un lion ; maintenant, c’est un renard ». L’unanimité du mouvement bourgeois et populaire qui avait, dans les premiers jours, fait reculer l’ennemi, semblait brisée ; et beaucoup craignaient que la défection des modérés, inclinant à la conciliation avec les hommes et les choses de l’ancien régime, ne livrent à l’ennemi la Révolution paralysée. « Une aristocratie de riches », maîtresse de la garde nationale, de plusieurs districts, d’une partie de la municipalité, se substituait, disait-on, à l’aristocratie des nobles, ou plutôt tendait à se fondre avec celle-ci pour une commune résistance.

L’article qui réglementait le veto suspensif et qui donnait à l’arbitraire royal un grand espace de six années blessa le sentiment populaire comme une