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HISTOIRE SOCIALISTE

ou de Louis XVI. Bien mieux, il agissait souvent contre leur volonté. Il prétendait que la reine était frivole, que Louis XVI était faible et d’ailleurs prisonnier déjà de la Révolution, et que son devoir à lui était de sauver le pouvoir royal sans eux et malgré eux.

La correspondance secrète du comte Mercy-Argenteau, publiée en 1891, nous permet de fixer la date du premier appel de la Contre-Révolution à l’étranger. C’est le 12 octobre 1789, de Moncalieri, que le comte d’Artois écrit à l’empereur d’Autriche Joseph II, frère de Marie-Antoinette : « On veut, dit-il, détruire à jamais la plus belle monarchie du monde entier, on veut la faire tomber dans la plus honteuse des démocraties, et, pour y parvenir, on épuise tous les crimes de la terre, jusqu’à nous précipiter dans l’anarchie la plus complète… Votre Majesté est monarque, Elle sait apprécier les justes droits attachés à ce titre ; Votre Majesté connaît tous les devoirs d’un allié fidèle… Je la supplie de me permettre une seule réflexion, c’est que la cause du roi de France est celle de tous les souverains, et qu’ils doivent tous redouter un pareil sort, s’ils ne délivrent pas celui auquel on ne peut reprocher qu’un excès de bonté et de douceur…

« Depuis l’affreuse journée du 6 octobre, depuis l’instant où les rebelles ont mis le dernier comble à leur atrocité, mon silence deviendrait un crime et mon abstention une lâcheté… Je dois ajouter à Votre Majesté que les princes du sang de France qui ont partagé mon sort partagent tous mes sentiments, et que nous verserions avec transport la dernière goutte de notre sang pour bien servir notre Roi et notre patrie… »

Ainsi, c’est du mot de patrie que se couvre l’appel à l’étranger. Laissons toute déclamation ; j’entends bien que pour le comte d’Artois, la France se confondait avec la monarchie, et qu’en servant la monarchie, il pouvait croire qu’il servait la France. Pourtant, l’histoire même de sa maison enseignait au comte d’Artois que la monarchie, au cours des siècles, avait plus d’une fois changé de forme et de caractère, et qu’aux heures de crise, elle s’était renouvelée par un appel au sentiment national.

Il y avait tout au moins une légèreté scandaleuse à renoncer ainsi dès le premier jour à tout espoir d’entente entre la Révolution et la monarchie transformée, ou plutôt il y avait un coupable égoïsme à écarter toute transformation du pouvoir royal.

Appeler les soldats de l’Europe pour empêcher la nation française de mettre sur la monarchie traditionnelle la marque des temps nouveaux, c’était, même avec les éléments de conscience dont disposait alors un prince du sang, un véritable crime, crime de frivolité égoïste et de fatuité.

Joseph II fut très irrité de cet appel. Il avait en Orient de grands intérêts, et il ne voulait pas se laisser entraîner témérairement à une guerre contre la France. Il avait d’ailleurs lui-même combattu en Autriche la puissance des nobles et des prêtres, il savait que même l’absolutisme n’a point