Page:Jaurès - Histoire socialiste, I.djvu/361

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
351
HISTOIRE SOCIALISTE

Chose curieuse ! cette grande crise des journées d’octobre semble faire tomber l’effervescence révolutionnaire de Paris. Nous allons entrer pour deux ans dans une sorte de calme. La Révolution va se développer en profondeur avec de faibles agitations de surface.

La misère, qui avait suivi la mauvaise récolte de 1788 et qui avait été aggravée par l’incertitude des premiers jours de la Révolution, s’atténue très vite ; les subsistances affluent de nouveau, et le travail se ranime. Le prix du pain s’abaisse de quatre sous à trois sous la livre. L’hiver de 1789-1790 est d’une exceptionnelle douceur ; en février, le temps était si beau que tous les travaux de maçonnerie pouvaient se continuer. Les manufactures sont très actives, et les municipalités qui s’organisent occupent par des travaux publics les ouvriers qui chôment encore ; à la fin de 1790, elles pourront même fermer la plupart de ces ateliers et chantiers, l’activité économique étant très grande dans le pays. La fièvre de la misère et de la faim s’apaise donc et la Révolution peut procéder à son œuvre organique.

Aussi bien la surprise des journées d’octobre, le brusque hasard de violence qui avait mis en péril la vie du roi avaient inquiété la bourgeoisie révolutionnaire elle-même. L’Assemblée se souvenait avec déplaisir qu’elle avait été envahie, et si elle suivait le roi à Paris, c’était avec le ferme projet de couper court, par des mesures très rigoureuses, à tous les mouvements de la rue. Son autorité révolutionnaire, immense encore, lui permettra de promulguer la loi martiale sans soulever contre elle un déchaînement populaire, et en fait, elle n’aura pas besoin de l’appliquer pendant deux ans. Le club des Jacobins aidera beaucoup l’Assemblée à régler le mouvement ; il disciplinera les forces révolutionnaires.

C’est donc une période d’action légale et équilibrée qui va s’ouvrir, et dans cette sorte d’accalmie qui succède à tant de crises, les partis peuvent se fixer et se définir. Chaque homme, chaque groupe d’hommes, procède à un examen de conscience et décidément choisit sa voie.

Les deux grands partis antagonistes, celui de la Révolution et celui de la contre-Révolution, sont chacun très subdivisés. Dans le parti contre-révolutionnaire il y a, à l’extrême droite, le parti des princes, intransigeant et brouillon. Le comte d’Artois, frère de Louis XVI, en est le chef. Aussitôt après le 14 juillet, il avait donné, avec le prince de Conti et le prince de Condé, le signal de l’émigration.

De la cour de Turin, où il s’était réfugié, il intriguait pour provoquer en France des soulèvements et pour entraîner les souverains de l’Europe à la guerre contre la Révolution. Les journées d’octobre, frappant d’épouvante les aristocrates, hâtèrent le mouvement d’émigration : beaucoup de députés nobles quittèrent l’Assemblée et passèrent la frontière.

Le comte d’Artois, dont les propos légers avaient dès longtemps offensé la reine, agissait spontanément, sans mot d’ordre de Marie-Antoinette