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HISTOIRE SOCIALISTE

cessité seule, c’est surtout le déficit des finances et l’impossibilité de vivre qui la jetteront aux grandes hardiesses.

LOIS D’ORGANISATION

Nous savons déjà que dans l’organisation du pouvoir, elle avait fait œuvre d’équilibre et de conciliation. Elle avait proclamé que la loi ne pouvait être que l’expression de la volonté nationale représentée par une Chambre, mais elle avait maintenu la royauté historique. Elle avait accordé au roi le droit de veto pendant deux législatures ; elle lui avait remis le choix souverain des ministres et elle allait le doter d’une liste civile de vingt-cinq millions, puissant moyen de corruption et de gouvernement occulte.

Aussi, quand en mai 1790, s’éleva le grand débat sur le droit de guerre, la discussion au fond fut assez vaine. Mirabeau, luttant pour la prérogative royale, brava la colère du peuple un moment soulevé, et Barnave qui voulait réserver à l’Assemblée l’initiative de la guerre, recueillit de longs applaudissements. Mais c’était une querelle de mots. Du moment que deux pouvoirs existaient, ils avaient l’un et l’autre le redoutable pouvoir de provoquer la guerre. Une manœuvre secrète du roi pouvait amener les soldats étrangers sur le sol de la France, quelque fût le sentiment de l’Assemblée ; et un défi de l’Assemblée aux rois de l’Europe pouvait soulever contre la France révolutionnaire tous les tyrans de l’univers, quelle que fût la volonté du monarque. Mais quand Mirabeau, pressant Barnave, lui disait : « Toute loi ne devient loi que par la sanction royale ; voulez-vous que l’acte le plus décisif de la vie nationale, la guerre, puisse se passer de la sanction du roi ? » Barnave ne pouvait répondre, et Mirabeau triomphait pour la monarchie des concessions premières faites par la Révolution.

L’Assemblée crut dénouer le nœud en décidant que la guerre serait déclarée par l’Assemblée, mais avec la sanction du roi. C’était pour le peuple assemblé aux Tuileries une victoire bien illusoire. Car si le roi appelait secrètement l’étranger, l’Assemblée ne serait-elle pas forcée de déclarer la guerre à l’envahisseur ? et que devenait la prétendue initiative de la nation ? Si, au contraire, l’Assemblée déclarait la guerre aux rois de l’Europe, le roi pouvait-il en refusant la sanction, livrer la France désarmée aux coups de l’ennemi ? Mais tout cela était théorie pure, combinaison abstraite des pouvoirs. Ce qui prouve combien ces arrangements étaient factices, c’est que Brissot, dans son journal le Patriote français, disait, au mois de mai, pendant la discussion : « C’est l’Assemblée seule qui doit avoir le droit de déclarer la guerre, car nous aurons ainsi des garanties de paix, la nation étant beaucoup moins disposée à faire la guerre que les souverains ». Or, c’est le même Brissot qui, deux ans après, pressera la France révolutionnaire de prendre l’initiative d’une guerre générale contre tous les souverains de l’Europe. Quand il s’agit