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HISTOIRE SOCIALISTE

sa politique purement démocratique commence à percer une politique de classe, mais incertaine comme les linéaments mêmes des classes.

Il avait beaucoup lu Jean-Jacques et il en était plein, mais il serait injuste de dire qu’il en était dominé. Rousseau n’avait présenté la démocratie que comme un idéal irréalisable aux grands États. Robespierre avait rejeté cette sorte de pessimisme social. Il estimait qu’une grande nation comme la France pouvait devenir une démocratie, à la seule condition d’accepter une concentration de pouvoir plus forte que dans les petites républiques. Il n’était donc ni un utopiste, ni un esprit vague, mais le théoricien inflexible de la souveraineté nationale et de la démocratie.

Dès les premiers jours, malgré le peu de crédit et même le peu d’attention que rencontraient d’abord sa pensée tendue et sa parole aigre, il avait pris très nettement position dans l’Assemblée, refusant au roi le veto suspensif, combattant la distinction des citoyens actifs et des citoyens passifs, avertissant sans cesse la nation de se défier des complots de l’aristocratie et de ne pas décourager par un modérantisme sévère la force populaire en mouvement.

Il était d’abord très isolé ; mais il avait malgré tout deux prises très fortes. D’une part, les intrigues et les conspirations de la Cour obligeaient l’Assemblée à accepter l’intervention du peuple. C’est lui qui, au 14 juillet, brisa la tentative de coup d’État, et c’est lui encore qui, au 5 octobre, imposa au roi la sanction des Droits de l’Homme.

De plus, la plupart des Constituants avaient, eux aussi, lu Jean-Jacques. L’idée du Contrat social, de la souveraineté nationale, de la démocratie était en eux ; ils n’osaient pas la traduire en entier dans la loi : ils ménageaient d’un côté la tradition royale, de l’autre le naissant privilège bourgeois. Mais ils avaient dû proclamer les Droits de l’Homme, et cet idéalisme révolutionnaire avait une logique impérieuse. À chaque conflit de la Révolution et de ses ennemis, les ménagements des Constituants pour le passé ou leur connivence avec l’égoïsme bourgeois devenaient plus contradictoires et plus impraticables ; Robespierre avait pris position en avant de la Révolution, mais il était sur le chemin qu’elle devait suivre, il était sur la route que l’idéal du xviiie siècle traçait aux esprits.

Mais à la fin de 1789 et au commencement de 1790, l’Assemblée, avec sa composition un peu discordante, était incapable de solutions radicales. Le club des Jacobins, installé rue Saint-Honoré, à côté de la salle du manège où siégeait l’Assemblée, était formé, lui aussi, d’éléments très variés, mais exclusivement bourgeois : il ne peut donner à l’Assemblée une impulsion très vigoureuse et très nette.

On peut donc être assuré d’avance que c’est, si je puis dire, dans un esprit révolutionnaire moyen, avec des précautions et des transactions de toutes sortes que l’Assemblée va aborder son œuvre organique, et c’est la né-