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Page:Jaurès - Histoire socialiste, I.djvu/445

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HISTOIRE SOCIALISTE

La vente des biens d’Église va servir, en effet, tout à la fois les financiers auxquels elle permettra des spéculations hardies, les rentiers dont elle assurera la créance, les hommes d’affaires et les architectes, auxquels elle donnera le profit d’innombrables échanges et de vastes travaux, les négociants, industriels, marchands auquels elle assurera plus largement l’accès de la propriété foncière, les praticiens, petits marchands et artisans de village auxquels elle livrera dans les environs du bourg ou du hameau quelques champs convoités, les notaires de campagne qui trouveront dans d’habiles achats un fructueux emploi de leurs fonds, et enfin les propriétaires paysans qui arrondiront leur petit domaine d’un lot arraché au prieuré ou à l’abbaye.

Je ne puis entrer dans le détail des combinaisons financières avortées qui ne laissèrent à la Révolution d’autre ressource que de nationaliser les biens d’Église. Un premier emprunt ouvert dès les premiers mois échoua, parce que l’Assemblée abaissa le taux de l’intérêt au-dessous du chiffre fixé par Necker et désiré par les capitalistes, et que ceux-ci craignirent en souscrivant à un taux modéré, de créer un précédent qui entraînerait bientôt une conversion générale et une réduction de toute la dette publique. Surtout les porteurs de titres, qui faisaient la Révolution pour éviter la banqueroute hésitaient à surcharger par un nouvel emprunt le poids de la dette, et en refusant un nouvel effort, ils voulaient acculer la nation à prendre des mesures décisives pour la consolidation de leur créance.

La voie de l’emprunt, où Necker s’engageait d’abord présomptueusement, était donc fermée. Pouvait-on compter sur des dons des souscripteurs volontaires ? Il eût été puéril d’espérer que des mouvements de générosité suffiraient à entretenir le budget d’une grande monarchie. D’ailleurs donner, c’était jeter au gouffre.

Il restait à Necker deux expédients : frapper le revenu d’un terrible impôt et négocier avec la Caisse d’escompte. La Constituante, avec un courage qui montre quel prix immense mettait la bourgeoisie à sauver la Révolution et à éviter la banqueroute, vota la contribution patriotique du quart du revenu ; c’était un impôt énorme ; il fut payé en bien des villes avec un noble empressement.

Marat, presque seul, le combattit. Il écrivit que cet impôt, au lieu d’être proportionnel devrait être progressif. Et surtout dans des calculs fantastiques, qui portaient le revenu annuel de la France à une quinzaine de milliards, il dénonçait le complot du ministre qui allait se procurer près de trois milliards. Et à quoi, selon Marat, consacrerait-il ces sommes énormes ? À soudoyer pendant plusieurs années une énorme armée pour écraser la Révolution. La vérité est que cet énorme effort permettait à peine à la France d’attendre sans faillite les premiers effets de l’aliénation des biens du clergé ; car la perception de tous les autres impôts était, en bien des provinces, comme arrêtée de fait.