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HISTOIRE SOCIALISTE

LES BIENS NATIONAUX.

Necker songea à utiliser le crédit de la Caisse d’escompte. On l’autoriserait à émettre des billets de banque ; mais ces billets, si on ne les gageait pas tomberaient bientôt à rien, et si on voulait les soutenir, avec quel gage ? Mirabeau qui combattait avec une grande force les plans financiers de Necker disait très justement : « Si la nation peut soutenir par un gage des billets émis par la Caisse d’escompte, pourquoi ne soutiendrait-elle pas directement par ce gage des billets émis par elle-même ? » Ainsi la combinaison de Necker qui consistait en réalité à créer une sorte d’assignats indirects était contradictoire, elle ne pouvait conduire qu’à créer directement des billets d’État, des assignats nationaux gagés par une richesse nationale. Et cette richesse, ce ne pouvait être que le domaine de l’Église.

Déjà comme nous l’avons vu, la Constituante, en abolissant les dîmes sans indemnité, avait frappé la propriété de l’Église. Mais il était bien plus hardi de toucher à son domaine foncier ; et tandis que l’Église ne résista que mollement à l’abolition des dîmes, elle va résister avec une vigueur forcenée à la nationalisation de sa propriété immobilière.

Comment la Constituante justifia-t-elle cette main-mise sur les biens du Clergé ?

Elle affirma que la propriété de l’Église n’avait pas le même caractère que les autres propriétés, que l’Église en avait reçu des terres, des immeubles que pour remplir certaines fonctions, notamment de charité et d’assistance ; que, par suite, le jour où la Nation se préoccupait de remplir elle-même cette fonction, elle avait le droit de saisir les ressources en assumant la charge.

Enfin et pour compléter sa démonstration juridique, la Constituante proclama que le clergé, ayant cessé d’être un ordre, ne pouvait posséder en cette qualité, et que la Nation peut toujours reprendre les biens d’un corps qui n’existe que par la volonté de la Nation elle-même. Après le marquis de Lacoste, après Buzot, après Dupont de Nemours, c’est l’évêque d’Autun, Talleyrand-Périgord qui posa la question avec l’autorité que lui donnait sa qualité même d’évêque et avec une admirable précision.

C’est le 10 octobre 1789 qu’il porta à la tribune sa grande et célèbre motion :

« Messieurs, l’État depuis longtemps est aux prises avec les plus grands besoins, nul d’entre vous ne l’ignore ; il faut donc de grands moyens pour y subvenir.

« Les moyens ordinaires sont épuisés : le peuple est pressuré ; de toute part, la plus légère charge lui serait, à juste titre, insupportable, il ne faut pas même y songer.