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HISTOIRE SOCIALISTE

Il est vrai que cette interdiction ne fut votée que le 14 février 1790 ; mais elle avait été proposée le 17 décembre 1789.

C’est donc à des assauts multiples que la propriété ecclésiastique devait résister. L’Église aurait pu se défendre, à la rigueur, si elle avait pu opposer à la Révolution un magnifique ensemble d’œuvres de charité et d’éducation : mais du fond des hôpitaux infâmes, où trois ou quatre malades s’infectaient les uns les autres dans le même lit, sortait à certains jours, un immense cri de révolte, ce qu’on appelait alors la plainte d’hôpital, un sinistre hurlement de folie, de misère, de désespoir, qui soudain épouvantait la cité.

L’archevêque d’Aix essaya pourtant, avec une grande ingéniosité, de détourner le coup. Il se garda bien de dire que les biens d’Église étaient uniquement fondés sur la volonté des donateurs. Il reconnut au contraire qu’il y avait eu intervention de la puissance publique : c’est avec le consentement des rois, c’est avec la garantie de la nation qu’ils représentaient, que l’Église a régi, tout le long des siècles, le domaine qu’elle possède aujourd’hui et l’archevêque demandait à la Révolution de respecter la propriété de l’Église par respect même pour la volonté de la nation qui l’avait fondée et légitimée.

L’argument n’était que spécieux. Car, pourquoi la nation n’aurait elle pu retirer, pour les besoins d’un état social nouveau, le consentement jadis donné par elle ?

D’ailleurs l’habile archevêque semblait douter lui-même de ce qu’on peut appeler le droit social de l’Église. Il reconnaissait que la nation avait le droit d’empêcher à l’avenir toute extension de la propriété ecclésiastique comme elle avait déjà limité la formation des biens de mainmorte par le fameux édit de 1749. Il semblait ainsi uniquement préoccupé de sauver la situation acquise. Et en convenant que désormais toute création de propriété cléricale pouvait être interdite sans qu’il y eût violation du droit et péril pour la société, il était bien près de ne plus demander que comme une sorte de grâce le maintien des propriétés déjà formées.

L’abbé Maury comprit que ce système défensif et incertain était impuissant. Il comprit que toute argumentation juridique était vaine, et il recourut brusquement à ces moyens démagogiques dont l’Église avait déjà usé au temps de la Ligue. Il essaya d’ameuter les pauvres contre l’œuvre d’expropriation révolutionnaire. Il dénonça les riches, les financiers, les agioteurs, les juifs, qui s’apprêtaient, selon lui, à saisir les biens affectés jusque-là au soulagement des souffrances humaines.

C’est vraiment le premier manifeste de la démagogie antisémite ; toutes les conceptions de Drumont, tous ses arguments, toute la tactique nouvelle de l’Église sont là. L’abbé Maury est le vrai créateur du genre. Depuis ce jour, toutes les fois que l’Église sera menacée dans sa domination ou dans sa richesse, elle tentera une diversion contre la finance, « contre la juiverie »,