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Page:Jaurès - Histoire socialiste, I.djvu/474

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HISTOIRE SOCIALISTE

par tous ces signes incertains et par tous les déplacements de ces signes que vous commettez. »

Ah ! le beau raisonnement et la belle tactique ! L’Église organisait autour de l’assignat la défiance, la grève d’une partie du peuple fanatisé, et quand ces refus, ces résistances d’une minorité de la nation auraient arrêté la circulation des assignats, comme des pierres placées par intervalle dans un canal arrêtent la circulation de l’eau, elle se serait écriée avec triomphe : « Vous voyez bien que votre nouvelle monnaie est impossible, et comme sans cette monnaie nouvelle la vaste opération de vente est impraticable, il faut renoncer à aliéner le domaine ecclésiastique. »

Le cours forcé déjouait cette manœuvre, et quand un véhément orateur de la droite s’écriait : « Décréter le cours forcé du papier-monnaie, c’est voler le sabre à la main », il se trompait d’un mot, car la nation ne volait pas, elle arrachait à des oisifs et à des indignes un bien qui fructifierait mieux en d’autres mains, mais elle avait raison d’armer la Révolution de la loi comme d’une épée, et de donner à l’assignat une vertu conquérante et une force de pénétration qui pût déjouer toute résistance.


Assignat de quinze sols
(D’après un document de la Bibliothèque nationale.)


Mais au moment où la Révolution allait donner le caractère de monnaie et le cours forcé aux quatre cents millions d’assignats créés en décembre 1789, et dormant encore dans la Caisse de l’extraordinaire, une question se posait : fallait-il maintenir un intérêt à ces assignats ? A première vue, et dans le calcul abstraie ; semblait bien que l’assignat, une fois devenu monnaie, devait, comme toute monnaie, ne porter aucun intérêt. Quand, en décembre, l’Assemblée avait décidé que les assignats recevraient un intérêt de 5 pour 100, elle n’avait pas donné cours forcé aux assignats. Elle les avait destinés surtout à faire patienter les créanciers de l’État jusqu’à ce qu’on pût les rembourser par la vente du domaine ecclésiastique. Or, comme il leur était dû un intérêt pour leur créance, il était naturel que l’assignat, qui donnait un corps nouveau à cette créance, portât un intérêt comme elle.

Le créancier n’était pas sûr de pouvoir céder à d’autres l’assignat, il fallait donc, s’il le gardait dans son tiroir, qu’il ne perdît pas l’intérêt du capital représenté par cet assignat. Et l’intérêt attaché à l’assignat pouvait aider d’ailleurs le porteur de l’assignat à le négocier. N’ayant pas la circulation