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HISTOIRE SOCIALISTE

C’est donc le domaine national qui serait ici encore la base du crédit, et pourquoi masquer le crédit fondamental de l’État sous le crédit superposé des municipalités ? Que l’État cesse donc ce jeu étrange d’emprunter son crédit à ceux-là mêmes, banque ou municipalités, dont il crée le crédit. « Laissons à l’ancienne administration l’erreur des crédits intermédiaires ; montrons enfin à l’Europe entière que nous apercevons l’étendue de nos ressources, et bientôt nous prendrons avec assurance la vaste route de notre libération, au lieu de nous traîner dans les sentiers étroits et tortueux des emprunts morcelés et des négociations onéreuses. »

Beau langage, hardi et sensé. C’est maintenant le crédit direct que la Révolution trouve en elle-même, dans la valeur des biens qu’elle a saisis, dans la confiance et dans l’affection qu’elle inspire, crédit de la nation à la nation, de la Révolution à la Révolution. La transformation de l’assignat en papier-monnaie ayant universellement cours, voilà l’appel à la nation. Et qu’on ne dise pas que décréter le cours forcé de l’assignat, comme monnaie obligatoire, ce n’est pas faire acte de confiance, mais au contraire de défiance.

Qu’on ne dise pas que c’est avouer que l’assignat, sans le secours de la contrainte légale, ne serait pas reçu en payement. Car, d’une part, on aurait beau décréter le cours forcé, s’il n’y avait pas une confiance générale en l’heureuse marche de la Révolution et en la vente favorable des biens d’Église, ces assignats, n’ayant qu’une valeur factice, se heurteraient à tant de mauvais vouloir, à tant de résistances déclarées ou sournoises, que leur force légale de circulation serait bientôt épuisée. Et d’autre part, pour ces hardis mécanismes nouveaux la confiance générale ne suffit pas, il faut l’adhésion universelle.

Le patriote clairvoyant et décidé qui croit à l’assignat parce qu’il croit à la Révolution, et qui croit à la Révolution parce qu’il est résolu à la servir, ne peut pas être exposé, dans le hasard de transactions multiples, à subir pour l’assignat qu’il offre le refus d’un ennemi de la Révolution ou d’un calculateur tenace et sordide. Il faut qu’il soit assuré, à toute heure et toute occasion, de placer aisément l’assignat qu’il a reçu en confiance, et le mouvement de la monnaie exige un accord absolu, unanime des volontés, il exige, par conséquent, quand il s’agit d’une monnaie nouvelle, organe d’un ordre nouveau encore combattu, l’intervention souveraine de la loi.

Ainsi le cours forcé n’est pas un acte de défiance envers soi-même, c’est une précaution nécessaire contre l’ennemi, et M. de Boisgelin, le subtil archevêque d’Aix, commettait un sophisme trop aisé à percer quand il disait au rapporteur : « Pourquoi donc décrétez-vous le cours forcé ? Si votre nouvelle monnaie est solide, elle aura cours naturellement par la confiance spontanée des citoyens ; si votre nouvelle monnaie a une base de valeur incertaine, vous n’êtes pas sûrs de pouvoir un jour la convertir par la réalisation du gage, et une banqueroute de détail, une banqueroute innombrable multipliée