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HISTOIRE SOCIALISTE

pouvait rembourser autrement. Voilà pourquoi les politiques et les économistes bourgeois se moquent de nous, quand ils disent que la Révolution a eu pour principal effet de donner la terre aux paysans. Elle a libéré de la dîme et des droits féodaux le domaine paysan déjà constitué ; elle n’a pu ajouter grand chose à ce domaine. Mais voilà pourquoi aussi il est injuste et puéril de reprocher à la Révolution, comme le fait Avenel, de n’avoir pas distribué aux pauvres une partie au moins des terres d’Église, car cette opération était impossible sans la banqueroute, qui était alors, aussi bien au point de vue politique qu’au point de vue économique, une mesure contre-révolutionnaire et rétrograde,

Avenel dit que la Révolution a volé un milliard aux pauvres. Ou cela n’a pas de sens, ou cela signifie que la Révolution, en s’emparant des biens d’Église, a moins fait pour les pauvres que ne faisait l’Église elle-même. C’est bien la thèse réactionnaire, étrangement rajeunie par un paradoxe pseudo-démocratique ; mais c’est contraire à la vérité.

La plupart des biens d’Église n’avaient plus en fait l’affectation charitable que leur avaient marquée les donateurs, les revenus en étaient dissipés par les plus scandaleux abus, et lorsque la Révolution, par son admirable comité « de mendicité », dessina un plan laïque d’assistance publique, lorsque ce comité dressa, en 1790 et 1791, le premier budget révolutionnaire d’assistance, 12 millions pour les malades, 27 millions pour les infirmes, les enfants et tes vieillards, 5 millions pour les ateliers publics où travailleraient les pauvres valides ; quand il essaya d’organiser les secours à domicile ; quand l’Assemblée Constituante, appliquant partiellement ce plan avant qu’il fût tracé en entier, vota le 15 décembre 1790, 15 millions de livres pour subventionner les ateliers publics, quand elle vota 5 millions pour les enfants trouvés, 4 millions pour les hospices, elle alla bien au delà de ce que faisait l’Église. Mais surtout en proclamant le droit au travail et à la vie, elle dépassait infiniment la morne charité ecclésiastique.

Ce droit au travail et à la vie, nous venons de voir avec quelle force Polverel le proclame aux applaudissements des Jacobins. Nous avons vu avec quelle force Chapelier le proclamait à la tribune de l’Assemblée nationale : « Il n’y aura plus de pauvres que ceux qui voudront l’être ». Le Comité de la Constituante le proclamait encore au début du beau rapport du duc de la Rochefoucauld-Liancourt :

« Tout homme a droit à sa subsistance. Cette vérité fondamentale de toute société, et qui réclame impérieusement une place dans la Déclaration des droits de l’Homme, a paru au Comité devoir être la base de toute loi, de toute institution politique qui se proposent d’éteindre la mendicité. Ainsi chaque homme ayant droit à sa subsistance, la société doit pourvoir à la subsistance de tous ceux de ses membres qui pourraient en manquer, et cette honorable assistance ne doit pas être regardée comme un bienfait ; elle est