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HISTOIRE SOCIALISTE

Il serait téméraire de penser que, malgré toutes les précautions législatives, la fraude ne s’exerça pas. Elle pouvait se produire de deux manières : D’abord le montant exact des baux pouvait être dissimulé (quoique l’opération semble assez malaisée), et surtout quand il n’y avait pas de baux et qu’il fallait procéder à une expertise les experts pouvaient être circonvenus et évaluer trop bas le domaine à vendre.

Dans l’immense mouvement de propriété qui s’accomplit alors, le contrôle des ventes ne fut pas toujours possible. Et en second lieu il pouvait y avoir entente, collusion entre certains acheteurs pour décourager par la menace ou écarter par la corruption des concurrents fâcheux. Pourtant il semble bien que les acquéreurs aient été généralement loyaux pendant la première période des ventes en 1790, 1791, 1792.

Sans doute, même à cette époque, il y eut des tentatives suspectes. Ainsi, dans le remarquable recueil de documents publié par M. François Rouvière sous le titre : l’Aliénation des biens nationaux dans le Gard, je lis un rapport rédigé le 30 avril 1791 par le procureur syndic de Pont-Saint-Esprit : « L’aliénation de quelques objets au prix de 100.000 livres, quoiqu’ils valussent le double selon les rapports qui nous ont été faits, annonce une coalition qu’il importe de prévenir. Les biens nationaux s’adjugent et s’adjugeront très mal, pour le présent, par l’effet des coalitions, nous pourrions même dire par les menaces aux prétendants ou par l’argent qui leur est offert ou donné, ce dont nous n’avons pas la certitude physique, mais celle de la renommée » (30 avril et 3 mai 1791).

Mais cette sollicitude même du procureur syndic permet de penser que l’effet des coalitions et de la fraude fut assez strictement limité. D’autres témoignages et d’autres faits que j’emprunte aussi au livre de M. Rouvière, présentent l’opération sous un jour beaucoup plus favorable. Car des lettres du même district de Pont-Saint-Esprit, écrites en décembre 1790 par les administrateurs attestent que les biens sont « avantageusement aliénés ».

« Telle propriété, qu’on estimait assez justement évaluée à 4,212 livres trouve preneur à 11,000 livres… Il ne nous reste qu’un regret, ajoutent les administrateurs, c’est que les lenteurs du comité d’aliénation nous empêchent de profiter d’un moment aussi favorable. »

Tel jardin affermé 400 livres par an fut vendu 11,500 livres. « C’est de bon augure pour les ventes prochaines », écrivent les administrateurs du district de Beaucaire, le 20 décembre 1790 » : « La séance a été tenue avec beaucoup d’appareil et il y a eu un grand concours d’assistants »,

En fait, les premières ventes, celles qui s’accomplirent sous la Constituante et surtout avant la fuite du roi à Varennes furent probablement les plus loyales et les plus rémunératrices.

D’abord les premiers acheteurs étaient certainement (ou du moins beaucoup d’entre eux) des enthousiastes qui ne se risquaient à une opération aussi