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HISTOIRE SOCIALISTE

hardie que soutenus par une foi ardente en la Révolution. Il n’y a pas seulement un calcul de spéculation, mais un acte de dévouement civique.

De plus, cette période de la Révolution était assez tranquille : le pays ne vivait ni dans la tourmente révolutionnaire ni dans le déchirement de la guerre civile : le calme des esprits était favorable au contrôle.

La Révolution avait hâte de vendre : mais grâce à l’intervention des municipalités, elle était à peu près assurée d’y réussir. Les opérations n’étaient donc point troublées et faussées par une hâte fiévreuse. Enfin, et ceci est peut-être la raison décisive, les catégories sociales les plus diverses concoururent dans cette première période à l’achat des biens nationaux.

À côté des paysans qui achetaient quelques menus lots, à côté des riches bourgeois qui employaient en achats territoriaux le montant en assignats de leurs créances sur l’État ou la dot de leur femme, beaucoup de prêtres achetaient de la terre : ils avaient été accoutumés comme membres des corps ecclésiastiques, à la propriété terrienne ; il ne leur déplaisait point d’en jouir à titre individuel.

Enfin, si quelques nobles de cour avaient émigré, presque toute la noblesse de province demeurait encore. Bien mieux, elle avait gardé confiance en l’avenir : elle n’était pas sérieusement atteinte dans ses ressources puisque les droits féodaux les plus fructueux n’étaient abolis à cette date qu’éventuellement et sous la condition du rachat.

La suppression des dîmes réparait pour plusieurs d’entre eux, et bien au delà, les pertes qu’ils avaient pu subir : et ils n’étaient point fâchés d’acquérir une part de ce domaine ecclésiastique qu’ils avaient plus d’une fois, sous l’ancien régime considéré d’un œil d’envie. M. François Rouvière relève sur la liste des acheteurs « les plus grands noms du département ». En feuilletant au hasard le gros volume, je note sur la liste des acheteurs pour le Gard un du Puy d’Aubignac, un de Beaune, un Beauvoir de Grimoard, du Roure, une Guignard de Saint-Priest, un maréchal de Castries, un Mathei marquis de Fontanille, une veuve du marquis d’Axat. M. de Beaune notamment achète le 16 mai 1791, le chapitre de Roquemaure pour 15 000 livres, et le 3 juin 1791 un domaine des Chartreux pour 171 000 livres. M. de Beauvoir acquiert pour 28 500 livres le couvent des Jacobins à Bayas par l’intermédiaire de son fondé de pouvoir Gués, le 20 janvier 1792. Ainsi la concurrence de toutes les classes sociales assurait la loyauté des ventes. Enfin, comme pendant près de deux années l’assignat se maintint presque au pair, l’agiotage sur la monnaie ne faussa pas, au début, la grande opération révolutionnaire.

La Constituante ne s’était pas seulement préoccupée de la sincérité des ventes. Elle essaya aussi, dans la mesure où le permettait l’exigibilité immédiate d’une dette énorme, d’appeler la démocratie rurale aux adjudications. Pour cela, elle donne d’abord des délais de paiement assez étendus. L’article 5 dit expressément : « Pour appeler à la propriété un plus grand nombre de