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HISTOIRE SOCIALISTE

bourgeois apparaît dans les derniers budgets de la monarchie. Une moitié des ressources ordinaires du budget est absorbée par le service de la dette. Le capital de la dette atteignait quatre milliards et demi, ou presque le double de la valeur assignée aux biens de l’Église par le rapport de Chasset à la Constituante. L’intérêt annuellement servi représente le dixième du produit net total de la terre de France. Il est aisé de comprendre combien les créanciers de l’État étaient une force sociale ; par eux, la bourgeoisie était maîtresse financièrement de l’État moderne, avant de s’en emparer politiquement. Il n’y avait pas de régime qui pût résister à un soulèvement des créanciers : or, la bourgeoisie créancière de la monarchie d’ancien régime ne se sentait plus en sûreté avec celle-ci. Elle avait toujours à craindre une banqueroute totale ou partielle décrétée par la volonté d’un seul homme : et son inquiétude croissait avec le montant même de la dette. Rivarol a écrit : la Révolution a été faite par les rentiers ; et il est bien certain que si beaucoup de bourgeois ont réclamé un ordre nouveau c’est pour mettre la dette publique sous la garantie de la nation plus solide que celle du roi.

Il est impossible d’évaluer même approximativement le nombre des porteurs de titres publics à la veille de la Révolution. Necker, dans son rapport aux États généraux dit que la plupart des titres sont au porteur et dispersés en catégories innombrables : il propose de les bloquer plus tard en titres nominatifs. L’absence de ce travail nous interdit même une évaluation approximative. Mais les porteurs devaient être nombreux, et ils constituaient une force d’autant plus active qu’ils étaient presque tous concentrés à Paris. A priori cela paraît très vraisemblable ; car le crédit public était encore trop récent (il n’avait pris quelque extension que depuis un siècle) pour s’être propagé jusqu’au fond des provinces. On sait que la vie de l’ancienne France était infiniment plus lente que la nôtre, et il fallait un très long temps pour qu’une institution aussi hardie, que le crédit public se propageât

D’ailleurs, c’est à l’achat de la terre exclusivement que les paysans consacraient leurs épargnes : et dans les grandes ville manufacturières ou marchandes la croissance des entreprises absorbait les capitaux disponibles. Enfin, avec les perpétuelles vicissitudes et les risques perpétuels de ces fonds d’État il fallait que le détenteur fût en quelque sorte sur place pour surveiller sa créance. Les combinaisons du trésor royal étaient incessantes, il négociait pour ainsi dire constamment avec ses créanciers ; il fallait être à la source des opérations et des nouvelles. Les rapports du Trésor et de ses créanciers se sont non seulement assurés, mais simplifiés depuis la Révolution, et « la présence réelle » du porteur de titres est beaucoup moins nécessaire.

La vie d’un rentier d’ancien régime avec les perpétuelles surprises des réductions de l’intérêt, des remboursements forcés, des diverses mutations de valeur était extrêmement animée. C’est dans une galerie de bois de la rue Vivienne, que se trouvait la Bourse d’alors : et « les nouvellistes », que rail-