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HISTOIRE SOCIALISTE

Il y a donc de la Constitution civile au Concordat diminution révolutionnaire. La Constitution civile est beaucoup plus laïque, nationale et démocratique que le Concordat. Elle ne reconnaît aucune puissance étrangère, et, au fond, aucune puissance théocratique : c’est la nation qui, dans sa souveraineté absolue et sous la forme populaire de l’élection, nomme et institue les officiers d’Église.

Mais ce qui reste de la Constitution civile, dans le Concordat, c’est le droit, pour un pouvoir d’origine révolutionnaire et laïque, qui reçoit non de l’Église mais du peuple sa légitimité, de désigner les évêques et les prêtres. Ces assemblées d’électeurs où tous, même les protestants, même les Juifs, même les incroyants, concourent à la nomination de l’évêque et du prêtre dans la Constitution civile nous semblent un peu bizarres, mais n’en est-il point de même, en fait, sous le régime du Concordat, où des ministres des cultes, protestants, déistes ou athées désignent les évêques et les prêtres ? L’essentiel, c’est qu’un pouvoir, qui n’émane pas de l’Église et qui représente les droits de l’homme, c’est-à-dire une conception absolument opposée à celle de l’Église, intervient dans le fonctionnement et le recrutement de l’Église : c’est là ce qui survit de la Constitution civile dans le Concordat : et c’est là, malgré tout, un échec grave à la théocratie.

Ceux qui comme nous, souhaitent non seulement la laïcité complète de l’État, mais la disparition de l’Église même et du Christianisme, ceux qui attendent impatiemment le jour où la puissance publique sera libérée de tout contact avec l’Église et où les consciences individuelles seront libérées de tout contact avec le dogme, peuvent croire que la Constitution civile du clergé était un piètre résultat et une combinaison bâtarde ; elle est néanmoins, en son fond, et à sa date, une hardiesse révolutionnaire ; et elle ne fut point, comme on l’a dit, une tentative précaire. En fait, sous l’action des forces rétrogrades et cléricales elle subit, comme la plupart des institutions révolutionnaires, un terrible déchet ; mais il y avait en elle une part intangible de Révolution qui s’est perpétuée…

Mais pourquoi la Constituante n’a-t-elle pas proclamé d’emblée la séparation de l’Église et de l’État ? Pourquoi n’a-t-elle pas dit que la religion était d’ordre purement privé et que la nation ne devait ni persécuter, ni soutenir, ni salarier, ni réglementer aucun culte ? Pourquoi n’a-t-elle pas, suivant la fameuse formule positiviste, réalisé d’emblée la séparation du pouvoir spirituel et du pouvoir temporel ? M. Robinet le reproche véhémentement à la Constituante, dans ses études très substantielles sur le mouvement religieux à Paris pendant la Révolution.

J’avoue qu’il y a dans l’interprétation et la critique positiviste des faits une sorte de parti pris maniaque qui m’irrite. Coupables sont les Constituants de n’avoir pas deviné et appliqué la thèse d’Auguste Comte.

Or, cette thèse sur les deux pouvoirs est historiquement fausse et socia-