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HISTOIRE SOCIALISTE

tuel  » ? Elle ne représentait plus rien dans l’ordre de la pensée : elle était la négation de la science, le scandale de la raison, la monstrueuse survivance du dogme suranné.

Le pouvoir spirituel du xviiie siècle, c’était la science et la philosophie : c’était Newton, Buffon et Hume. C’était la Constituante elle-même, quand elle résumait dans la Déclaration des Droits de l’homme tout l’effort de la pensée libre. Que les positivistes, à la suite d’Auguste Comte, reprochent aux Constituants et à la Révolution d’avoir fait de la « métaphysique » en proclamant les Droits de l’homme, qu’ils reprochent à la Révolution d’avoir, d’avance, manqué d’égards au comtisme par ces hautaines affirmations qui furent le ressort des volontés ! à la bonne heure : et on sait assez le parti que peut tirer la réaction de ce dénigrement de la Révolution par de prétendus esprits libres.

Mais du moins, qu’ils ne gémissent pas à propos de la Constitution civile du clergé, sur l’indiscrète intervention de la Constituante dans la marche du « pouvoir spirituel ». L’Église était en fait, une puissance énorme, hostile par toutes ses traditions, tous ses principes, tous ses intérêts, à l’ordre nouveau de liberté et de raison que la Révolution voulait fonder.

La Constituante a essayé, tant bien que mal, et sans heurter trop violemment cette puissance redoutable et les préjugés qui la protégeaient, de la faire passer sous la discipline révolutionnaire. Dites qu’elle a mal calculé son effort, qu’elle a été trop timorée ou trop, hardie, qu’il valait mieux rompre d’emblée : cela se discute, mais de grâce épargnez-nous, à propos de cette Église sans idées, la théorie « du pouvoir spirituel ». Le jour où l’État rompra avec l’Église, le jour où la République fera cette séparation de l’Église et de l’État, que M. Robinet ne pardonne pas à la Constituante de n’avoir pas accomplie, ce ne sera pas pour opérer, selon le rite positiviste, la séparation du temporel et du spirituel : ce sera pour rejeter loin du pouvoir spirituel nouveau, je veux dire loin de la société libre et organisée selon la raison, ce qui reste des servitudes intellectuelles du passé.

Mais en fait, et à calculer les forces de l’année 1790, la Constituante pouvait-elle d’emblée prononcer la séparation de l’Église et de l’État ? La question à cette date, n’était même pas posée ; elle n’existait pas. Personne parmi les législateurs, personne parmi les publicistes, personne parmi les penseurs et philosophes ne suggérait à la Constituante l’idée de séparer l’Église et l’État.

M. Robinet, pour prouver que cette idée n’était point étrangère au xviiie siècle et que par suite la Constituante aurait pu la réaliser, est obligé de torturer le sens des textes d’une façon à peine croyable. Il prend pour une invitation à séparer « le spirituel du temporel » et plus précisément l’Église de l’État tous les appels à la tolérance qui ont retenti dans le xviiie siècle. Montesquieu fait dire à une juive, dans l’Esprit des Lois : Vous voulez que