Page:Jaurès - Histoire socialiste, I.djvu/557

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
547
HISTOIRE SOCIALISTE

accéder d’emblée à la pure philosophie de la science et de la raison. Cette première période révolutionnaire est donc nécessairement, dans l’ordre religieux, une période de compromis. L’essentiel encore une fois c’est que ce compromis, s’il obligeait la pensée libre à des formalités désagréables et à des attitudes déplaisantes, n’atteignait pas la force interne de la raison ; et au contraire, en diminuant l’esprit de passivité et de dépendance des foules il atteignait la force intime de l’Église ; les quatre millions de citoyens actifs qui hier saluaient l’évêque comme une double incarnation de Dieu et du Roi nomment maintenant cet évêque. L’Église a posture de candidat devant le suffrage populaire, c’est lui qui décide en dernier ressort, c’est lui qui est pape et en quelque mesure, par la communication de la puissance sacerdotale, c’est lui qui est Dieu.

Cette exaltation du peuple est l’abaissement de l’Église, et le dogme perd l’auréole de puissance qui en faisait une vérité. En tout cas, il sera plus facile au peuple, ayant traversé la Constitution civile, de regarder en face l’autel où, par lui, le prêtre est monté. Je suis convaincu que cette Constitution civile, si dédaignée par quelques esprits hautains est pour beaucoup dans la liberté intellectuelle du peuple d’aujourd’hui à l’égard des choses religieuses. Elle a été une première accommodation laïque de la religion qui a habitué le peuple aux pleines audaces de la pensée libre.

L’Église sentit la gravité du coup, car elle ne tarda pas, sous la direction du pape, à opposer à la Constitution civile une résistance acharnée. Elle prétendit que la nouvelle distribution des diocèses était absolument contraire au droit canonique. Elle prétendit que la Constituante n’avait pas le droit d’éviter le recours au chef de l’Église universelle. Nous n’avons point à discuter ces prétentions.

M. Robinet en sa qualité de positiviste donne raison au chef de l’Église. Mais l’Église en sa longue vie a accepté trop de constitutions différentes, elle s’est adaptée à trop de conditions politiques et sociales diverses pour qu’elle puisse opposer aux nouveautés révolutionnaires l’autorité d’une tradition constante. Et le problème se résume d’un mot. L’Église aspire à la domination, elle déclare donc contraire aux principes tout ce qui contrarie sa domination, mais comme elle ne s’obstine pas contre l’inévitable, et qu’elle aime mieux évoluer que disparaître, elle finit par se résigner à ce qu’elle n’a pu détruire et par rajuster ses principes à ce qui est.

Si la Révolution avait pleinement triomphé, si la liberté politique et le suffrage populaire n’avaient point sombré dans le despotisme impérial, si le principe électif avait continué à fonctionner partout, et si le triomphe de la Révolution et de la démocratie avaient donné à la France un vigoureux esprit national, la Constitution civile se serait imposée au clergé et au pape lui-même. Il n’aurait certes pas détaché de l’Église universelle la France de la Révolution et il se serait borné à maintenir le plus possible entre les évêques élus et le