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HISTOIRE SOCIALISTE

Saint-Siège « l’unité de la foi ». Ce n’est donc pas une question canonique qui est posée. C’est une question politique. Il s’agit de savoir si la Révolution aura la force de s’imposer dans toutes ses œuvres et dans la Constitution civile elle-même.

J’entends quelquefois des esprits « modérés » regretter que la Révolution française se soit créé à elle-même tant de difficultés redoutables en donnant au clergé une Constitution civile. Mais ils raisonnent en vérité comme s’il était possible à la Révolution d’ignorer l’existence d’une Église qui dominait et pétrissait la France depuis des siècles. Ils raisonnent comme s’il était possible à la Révolution en affectant cette ignorance, d’abolir le profond conflit du principe catholique et des principes révolutionnaires. Il n’était pas une question où la Révolution ne fût obligée de prendre parti et où elle ne rencontrait l’Église sur son chemin.

Pour ne parler que de la question des diocèses, fallait-il, au moment où la Constitution abolissait les anciennes provinces et uniformisait la France, qu’elle laissât subsister les anciens diocèses comme un souvenir de la vieille France se superposant aux lignes de la France nouvelle et entretenant une espérance universelle de réaction ? Au moment où la nation se saisissait du pouvoir du Roi, il fallait bien qu’elle décidât quel usage elle ferait de la partie de ce pouvoir qui concernait l’église, ou fallait-il laisser celle-ci indéfiniment maîtresse de tout, de son recrutement, de sa prédication, des écoles, des registres de l’état civil ?

Encore une fois la dramatique rencontre du christianisme et de la Révolution ne pouvait être reculée. Le seul devoir de la Constituante était de ménager cette rencontre de façon à froisser le moins possible les préjugés de la masse qui se fût tournée contre la Révolution et de façon aussi à donner au peuple à l’égard des choses religieuses des habitudes nouvelles de liberté. C’est à quoi la Constitution civile a pourvu autant qu’il était possible. En fait, la Révolution trouva des prêtres assermentés pour toutes les paroisses, des évêques assermentés pour tous les diocèses : elle put ainsi diviser l’Église contre elle-même : elle prévint un soulèvement unanime de fanatisme religieux où elle aurait sombré et elle se donna le temps d’être, pour l’essentiel de son œuvre, inattaquable et irrévocable. Mais il est visible que nous venons de toucher à une force terrible de résistance, au grand ressort de la contre-révolution et nous pressentons dès maintenant une suite de luttes tragiques et passionnées qui jetteront la Révolution hors de la politique modérée et moyenne de ses débuts.