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HISTOIRE SOCIALISTE


Il fallait donc former comme une chaîne de communes, s’unir, se fédérer aux communes libres et révolutionnaires de la même province, de la même région.

Et ainsi se forment la fédération du Nord, la fédération de la Bretagne, la fédération du Dauphiné, un peu plus tard la fédération de Lyon : dès les premiers mois de 1790, le mouvement se développe : partout des fêtes fraternelles, des serments solennels unissaient les communes fédérées, et comment ce mouvement ne se serait-il pas étendu et agrandi ?

Comment tous les tourbillons régionaux se touchant en quelque sorte par leur bord, ne se seraient-ils pas fondus et élargis en un vaste tourbillon national ?

L’idée vint spontanément et presque à la même heure, à tous les délégués des fédérations fraternelles, qu’il faudrait nouer à Paris, au centre de la nation régénérée, le nœud d’une fédération nationale.

Admirable mouvement et qui n’aura son terme que lorsque, en une Révolution plus profonde à la fois et plus ample, ce sont toutes les nations de la terre qui entreront dans le grand tourbillon d’unité et de paix, et qui formeront la fédération humaine.

Heureux le prolétariat qui a la mission sacrée de préparer cette grande œuvre.

C’est, naturellement, au 14 juillet 1790, que fut fixée la fête de la Fédération : car c’est le 14 juillet qui avait créé la liberté et qui avait suscité le mouvement des communes révolutionnaires. Elles retournaient pour ainsi dire à ce grand événement comme à leur origine même et à leur centre.

L’Assemblée voyait sans ennui ce grand mouvement national qui était en un sens la glorification et la confirmation de son œuvre. Mais ici encore sa politique fut faite d’équilibre, à la fois conservatrice et révolutionnaire.

De même qu’elle avait proclamé et même réalisé la souveraineté de la nation, mais en maintenant le Roi, de même qu’elle avait donné aux assemblées, élues par la nation, le droit de faire la loi, mais en accordant au roi le vote suspensif, de même qu’elle avait arraché le peuple de France à son inertie séculaire et institué d’emblée quatre millions d’électeurs, mais en rejetant hors du droit de suffrage les plus pauvres, de même qu’elle avait aboli le système féodal et frappé, ou par l’abolition pure et simple, ou par le rachat obligatoire, la propriété féodale, mais en prenant des précautions infinies pour que le principe même de propriété ne fût pas atteint, de même, quand un admirable entraînement populaire suscita l’idée de la fédération, l’Assemblée s’y associa, mais en la régularisant selon le type général de la Révolution Bourgeoise.

Elle n’accepta pas des délégations en quelque sorte tumultueuses et spontanées qui auraient pu se produire en dehors du système légal déjà défini par l’Assemblée.