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Page:Jaurès - Histoire socialiste, I.djvu/560

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HISTOIRE SOCIALISTE

ces. Les aristocrates cherchent partout à animer les intérêts que la Révolution froissait par ses décrets.

Exaspérés eux-mêmes par l’abolition de la noblesse, qui les blessait dans leur vanité ou dans leur orgueil, infiniment plus que la nuit du 4 août ne les avait atteints dans leurs intérêts, réduits avec désespoir à leur nom de roturiers, ils affectaient de considérer l’œuvre de la Révolution comme une bourrasque après laquelle le bons sens se relèverait ; ils n’effaçaient pas, comme nous l’apprend Mercier, les armoiries de leurs voitures, mais ils les couvraient d’un léger nuage de peinture qui semblait devoir s’envoler au premier souffle.

En attendant ils essayaient d’exciter contre les révolutionnaires le vieil esprit provincial ; ils encourageaient ou fomentaient la résistance des Parlements dissous, et celui de Bretagne, celui de Metz, allaient jusqu’aux limites de l’insurrection ; ils essayaient de persuader aux provinces, jusque-là affranchies de la gabelle, que l’abolition générale de la gabelle était onéreuse pour elles, puisqu’elle obligeait l’Assemblée à créer des impôts nouveaux qui pèseraient également sur toutes les régions.

Ils tentaient d’effrayer les fermiers des biens ecclésiastiques nationalisés, et bien que la Constituante eût décidé, par un article exprès, que les baux conclus par l’Église continueraient à être valables et que les fermiers resteraient en possession, ceux-ci, habitués à l’indolente administration d’Église qui les gênait peu, redoutaient l’inconnu et prêtaient assez volontiers l’oreille aux nobles qui leur annonçaient comme très lourd et très dur le règne du nouveau propriétaire bourgeois.

Mais, dans l’année 1790, tous ces commencements de réaction, toutes ces menaces et toutes ces intrigues révolutionnaires étaient emportés par un grand mouvement d’espérance et d’orgueil, par une joie allègre de résurrection et de vie. La France semblait entrer à la fois dans la liberté et dans l’unité : plus de barrières féodales ou provinciales ; plus de morcellement ; plus d’arbitraire ; un même cœur généreux et jeune, dont les battements se répercutaient au plus profond du pays, dans le plus lointain village relié désormais à l’ensemble par la liberté commune et la commune souveraineté.

A peine, dans les derniers mois de 1789, les libres communes révolutionnaires se furent-elles partout organisées pour lutter à la fois contre les aristocrates et contre « les brigands », qu’elles sentirent bien que ce n’était pas un mouvement local qui les animait. Elles participaient seulement, avec la force et la spontanéité de la vie, à un mouvement universel ; et elles cherchèrent d’instinct un symbole qui exprimât cette double vie, à la fois universelle et locale : et quel autre que la Fédération ?

D’ailleurs, si les ennemis de la liberté et de la nation continuaient ou étendaient leurs intrigues, une commune isolée ne pourrait rien. Ou elle serait écrasée ou elle serait suspecte.