immense, poussé en tous sens son commerce et son industrie, inauguré la grande industrie et le machinisme. Dès la première moitié du xviiie siècle la quantité de charbon employé dans les usines anglaises était si grande que déjà le ciel de Londres était noir de fumée.
Les sociétés humaines et en particulier les sociétés modernes sont si complexes que dans de longues périodes de transition coexistent et fonctionnent à la fois, malgré leur contrariété essentielle, les organes économiques du passé et ceux de l’avenir.
Rien n’est plus opposé que le système corporatif et le système capitaliste : l’un limite la concurrence ; l’autre la déchaîne à l’infini. L’un soumet la production à des types convenus et imposés : l’autre cherche constamment des types nouveaux.
Et pourtant ces deux systèmes contradictoires ont, dans la France et l’Angleterre du xviiie siècle, concouru à la vie économique.
Il se peut de même que nous entrions dans une période de transition où des institutions à tendance collectiviste et communiste coexisteront, dans notre société, avec les restes encore puissants de l’organisme capitaliste. En tous cas, ces explications étaient nécessaires pour saisir la vie économique déjà compliquée du xviiie siècle français.
Les affaires de la France avec le dehors et avec ses colonies avaient beaucoup grandi depuis la mort de Louis XIV ; il y eut en particulier sous la Régence et sous le cardinal Fleury une belle poussée. Lord Chesterfield écrit à son fils en 1750 : « Les règlements du commerce et de l’industrie en France sont excellents, comme il paraît malheureusement pour nous par le grand accroissement de l’un et de l’autre dans ces trente dernières années. Car sans parler de leur commerce étendu dans les Indes occidentales et orientales, ils nous ont enlevé presque tout le commerce du Levant et maintenant ils fournissent tous les marchés étrangers avec leur sucre, à la ruine presque complète de nos colonies de sucre, comme la Jamaïque et la Barbade ».
Si l’on consulte les tableaux d’importation et d’exportation dressés par Arnaut en 1792 on constate que notre commerce extérieur avec la plupart des pays du monde avait quadruplé depuis le traité d’Utrecht en 1715. Chaptal nous a laissé un tableau détaillé de nos importations et exportations en 1787 ; les importations ont été cette année-là de 310 millions de livres sans compter les produits des colonies, et l’exportation totale s’élève la même année à 524 millions de livres dont 311 millions en produits du sol et 213 millions en produits d’industrie. Nous avions un commerce suivi avec l’Espagne, le Portugal, le Piémont, Gênes, le Milanais, la Toscane, Rome, Venise, la Russie, la Suède, le Danemark, l’Autriche, la Prusse, la Saxe, Hambourg, qui pour ses 800 raffineries nous achetait près de 40 millions de sucre brut par année. Et depuis la guerre de l’indépendance américaine la France espérait établir de sérieux échanges avec les États-Unis : Clavière avait écrit tout un livre assez médiocre