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HISTOIRE SOCIALISTE

misère, était bien loin encore de le suivre. Elle marchait visiblement avec les autorités constitutionnelles et Marat exaspéré brutalisait les ouvriers, les accusait d’être, ou les dupes, ou les agents de la contre révolution.

Cet article du 7 avril causa parmi les ouvriers des ateliers un émoi assez vif : cet émoi se traduit dans une lettre (peut-être rédigée en partie par Marat lui-même) et publiée le 10 avril. « A l’ami du peuple….. Avec quelle injustice vous venez de parler des infortunés condamnés par la chute du commerce et des arts, à travailler dans les ateliers de secours ! Non, la plupart ne sont pas des scélérats, ce sont de bons, d’honnêtes citoyens. Leur indigence est le crime de la fortune, non le leur, c’est la suite du malheur des temps, des folies du gouvernement, des dilapidations de la cour, des malversations des agents du fisc et plus que tout cela, celui de la corruption et de la vénalité des pères conscrits (les députés) qui ont borné leurs soins paternels à s’emparer du bien des pauvres pour payer de faux créanciers de l’État… Dans votre numéro 422, imprimé sans doute trop rapidement, comme toute production que l’on n’a pas eu le temps de revoir à tête reposée, vous paraissez oublier que vous êtes l’ami, l’avocat, le défenseur, le bien aimé du peuple… Je ne vous dirai pas que les malheureux ont droit à l’indulgence, mais je vous observerai que vous auriez dû rendre plus de justice à une classe d’hommes dont l’infortune a montré l’âme toute nue et qui peuvent s’honorer de leur abaissement puisque la misère ne les a pas entraînés un instant en dehors du sentier si étroit de la vertu… Le gros des ouvriers est honnête, très honnête, en dépit de tous les honteux ressorts que les perfides agents de la municipalité ou plutôt du Cabinet des Tuileries ont fait jouer pour les corrompre.

« Les plus éclairés des travailleurs exercèrent d’abord dans cette petite république les fonctions de juges de paix ; ils réprimaient ceux qui tombaient en faute, et chassaient irrémissiblement les coquins et les mauvais patriotes. Cette justice salutaire déplut aux chefs, et la crainte de perdre le chétif morceau de pain qu’ils trouvaient dans cet asile força ces magistrats populaires à renoncer à leurs fonctions. Oui, certainement il y a dans les ateliers de secours, des traîtres et des conspirateurs vendus aux ennemis de la patrie mais ce sont les mouchards et les brigands qu’y a placés Bailly, ce sont les administrateurs et les municipaux qui font de beaux règlements pour renvoyer les bons citoyens en faveur de qui ces ateliers sont établis, et pour les remplacer par des ex-gardes du corps, des ex-gentilshommes, des ex-avocats, des ex-voleurs, en un mot par des espions et des coupe-jarrets soudoyés. Voilà notre ami, quels sont les êtres infâmes que l’administration place au mépris des décrets, au mépris de ses propres règlements, pour capter, séduire et corrompre les bons citoyens ».

« Plusieurs comités de sections propagent l’esprit de sédition en enlevant aux Français la seule ressource qui leur soit laissée dans leur désespoir, pour la faire partager à des étrangers. »