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HISTOIRE SOCIALISTE

« du bourgeois » comme d’un autre privilégié, aussi pesant au peuple que le noble. Mais dans les cahiers des villes et dans le langage même de la classe ouvrière, un bourgeois, en 1789, était un révolutionnaire, un ennemi des nobles et de la cour. Bourgeois s’opposait à noble : maintenant bourgeois commence à s’opposer à ouvrier, à prolétaire. Quel malheur immense que cet instinct de classe naissant, si fragile encore et si faible, n’ait pu se fortifier et s’éclairer dès cette époque et à travers tout le siècle, par la pratique continue de la liberté !

Enfin Marat, le 5 septembre 1791, à un moment où il se croyait près de renoncer au journalisme, développe un plan de réforme agraire. Il consiste d’abord, comme je l’ai indiqué, à organiser légalement l’échange obligatoire des parcelles de terre, à économiser les pertes de temps, les frais inutiles. « Mais, pour réunir les terres morcelées et éparpillées qui sont nécessaires à l’établissement des cultivateurs au milieu de leur champ, établissement si essentiel au bien général et particulier, il faut commencer par écarter un fantôme que l’égoïsme décore du nom de liberté. Il y a si longtemps qu’on abuse de ce mot, tour à tour confondu avec le caprice et la licence, qu’il importe de le définir une bonne fois pour toutes. Faire ce qu’on peut, c’est user de la liberté naturelle ; faire ce qu’on veut, c’est abuser du despotisme ; faire ce qui nuit aux autres, c’est donner dans la licence ; faire ce qu’on doit, c’est user de la liberté civile, seule convenable dans l’ordre social. Or, c’est la loi que fixe le devoir de l’homme en société. Le grand but de notre association politique est le bonheur commun auquel tout citoyen est intéressé à concourir. »

« Pourquoi cela ? Parce que l’état social exige que chaque individu sacrifie une portion de son intérêt à l’intérêt général, sacrifice pour lequel il reçoit en échange la protection de la force publique, la garantie de sa propriété et l’assurance de sa sûreté personnelle. Ainsi, de l’observation des lois dépend la conservation de ce que l’homme a de plus cher au monde : de sa propriété, de son repos et de sa vie. »

« Voilà les principes : voici leur application au cas dont il s’agit. » « En Angleterre, où l’on connaît mieux la vraie liberté que partout ailleurs, on a bien senti que pour effectuer la réunion des terres par la voie des échanges, il n’était pas possible de laisser le champ libre aux caprices de particuliers. On a donc été obligé d’ordonner ces échanges respectifs et d’en déterminer la forme par la loi. Cette réunion appelée The compact s’est établie successivement depuis cinquante ans dans les différentes provinces par des actes du Parlement, qui prescrivent entre les propriétaires cette sorte d’échanges qu’on voit souvent ici les gros fermiers faire entre eux pendant le cours de leurs baux, pour la commodité de leurs labours : ce qui, sans offrir aucun des avantages d’un arrangement durable, soit pour la clôture, soit pour une amélioration suivie, ne sert bien souvent qu’à occasionner beau-