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HISTOIRE SOCIALISTE

coup de discussions, en jetant du trouble dans les propriétés, à l’expiration des baux. »

On peut dire que toute la théorie de la Révolution sur la loi et la propriété est résumée là. La loi est souveraine : la propriété est un droit, mais dans les limites et sous les garanties fixées par la loi. La loi doit concilier le droit individuel et le bonheur commun.

Ainsi, en ce qui touche la propriété rurale, c’est la loi qui, d’autorité, dans l’intérêt général, fera la réunion des parcelles.

Marat ne veut point qu’elle s’arrête là. Comment assurer la subsistance du peuple et en particulier de ces nombreux journaliers, de ces simples manouvriers pour lesquels il a une sollicitude évidente ? Faut-il, d’autorité, abaisser le prix des subsistances des denrées agricoles ? Ce serait s’exposer à ruiner les cultivateurs et à décourager la culture. Mais la loi de l’offre et de la demande a cet effet que le prix d’une marchandise est d’autant plus bas que le nombre des vendeurs est plus grand et le nombre des acheteurs plus petit. Il faut donc multiplier le nombre de ceux qui vendent les denrées agricoles : pour cela il faut multiplier les fermiers ; et on ne le pourra qu’en obligeant les propriétaires à diviser une grande ferme en plusieurs fermes.

Du coup, beaucoup de journaliers seront transformés en petits fermiers ; le nombre des acheteurs diminuera donc en même temps que croîtra le nombre des vendeurs : et un sage équilibre des prix, une sage répartition des bénéfices de l’agriculture assureront une aisance générale.

Voilà le plan agraire bien modeste comme on le voit et bien prudent de Marat. Il y a loin de là à « la loi agraire » au partage des propriétés, puisqu’il s’agit seulement de diviser les fermages en en laissant le produit au propriétaire. C’est cependant toujours une intervention de la loi dans le mécanisme de la propriété.

« Il serait donc, écrit-il, de toute nécessité comme de toute justice, que la même loi, qui procurerait tant d’avantages aux propriétaires en établissant la contiguïté des terres par des échanges légaux, assurât en même temps la subsistance de tout le monde, en astreignant les propriétaires qui ne feraient pas valoir eux-mêmes leurs terres, à les affermer en détail. Lorsqu’ils verraient les frais de la culture diminuer et les produits augmenter par l’effet de la réunion de leurs propriétés, j’ai trop bonne opinion de mes compatriotes pour croire qu’il en fût un seul qui eut l’inhumanité de se plaindre si la même loi qui assurerait une répartition plus égale des fruits de la terre, en distribuant la culture à un plus grand nombre de familles, privait le propriétaire du droit de disposer, d’affermer ses terres au gré de ses caprices. L’effet nécessaire de cette disposition serait donc de rapprocher l’ordre civil de l’ordre naturel par une plus grande facilité de culture, et une plus égale distribution des fruits de la terre ; puis de rétablir l’équilibre entre le prix des denrées et la main d’œuvre, et enfin de détruire tout monopole des fruits