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HISTOIRE SOCIALISTE

Ils se seraient plutôt portés à la municipalité en demandant du travail et du pain. Les Goncourt, recueillant quelques détails dans les journaux royalistes et contre-révolutionnaires disent : « Le commerce est mort… Le commerce parisien est tué ». Où sont ces nobles qui dépensaient si largement ? Où sont ces prélats si élégants et si riches qui faisaient aller tout le commerce de luxe de la capitale ? « Où est cette riche bourgeoisie, dont un contemporain dit que rien ne lui échappe, ni les fleurs d’Italie, ni les sapajoux d’Amérique ni les figures chinoises ? » Et certes, nous savons bien le mal que l’émigration des nobles et les craintes de quelques financiers factieux faisaient à la capitale, mais, encore une fois, il est puéril d’imaginer que le noble, et le financier de contre-révolution emportaient toute la richesse. En fait, même à Paris, surtout à Paris, c’est le parti de la Révolution qui était le parti de la richesse.

Pour quelques collectionneurs de bibelots qui sont partis ou qui ont suspendu leurs achats, l’immense activité de la capitale et l’énorme puissance de consommation de sa bourgeoisie victorieuse ne sont point abolies. C’est pure fanfaronnade de nobles et illusion de réacteurs de s’imaginer qu’eux seuls entretenaient le mouvement des affaires : et quand ils disent que rien qu’à tresser les galons dorés de leurs laquais et à peindre les armoiries de leurs voitures, vingt mille ouvriers étaient occupés qui sont maintenant sans ouvrage, ils se moquent du monde, surtout des frères Goncourt qui, candidement, recueillent ces sottises et ces vanteries. De riches consommateurs venaient qui remplaçaient les émigrés. Les mille députés de l’Assemblée nationale créaient à Paris une force nouvelle de mouvement : des salons révolutionnaires s’ouvraient, des sociétés et des cercles se formaient où les riches bourgeois dépensaient sans compter. L’attrait extraordinaire de la Révolution, le spectacle prodigieux de ce peuple passant du néant politique à la presque démocratie, amenaient à Paris, des observateurs, des curieux, de tous les points du monde : et la seule industrie du papier et de l’imprimerie suscitée par la Révolution, aurait suffi sans doute à couvrir de ses progrès le déficit présumé des industries parisiennes.

On a vu avec quelle subtilité, avec quelle ingéniosité, les entrepreneurs essayaient d’accaparer la main-d’œuvre des ateliers municipaux, et je sais bien qu’ils espéraient ainsi avoir des ouvriers au rabais. Mais s’il y avait eu une grande crise et un chômage étendu, ils auraient eu en dehors de ces ateliers, surabondance de main-d’œuvre.

Habiller la garde nationale si vaniteuse de ses brillants uniformes remplaçait et au delà la fourniture des livrées de laquais pour les nobles absents. On sait avec quelle violence Marat pousse au noir la misère du peuple pour accuser l’Assemblée nationale. Si les ateliers avaient été déserts, si de nombreux ouvriers sans travail avaient été affamés et errants dans les rues de Paris, il le dirait à chaque numéro. Or, il ne parle qu’avec réserve de la