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HISTOIRE SOCIALISTE

la religion romaine, à l’autorité spirituelle du pape. Qu’adviendra-t-il le jour où Rome se prétendra frappée, où le pape proclamera que son autorité spirituelle est méconnue ? Bien menacé sera le compromis imaginé par les jansénistes, accepté par les philosophes et approuvé par les politiques. Soixante-un curés députés prêtent le serment aussitôt après Grégoire. C’était un chiffre important ; mais comme on est loin du mouvement presque unanime qui emporta le bas clergé à se réunir aux Communes et à voter l’abolition des dîmes ! Évidemment un grand trouble a saisi une partie des prêtres. Et à quoi bon méconnaître que plus d’un, assez disposé à faire bon marché des avantages matériels, hésita à la pensée de compromettre la foi dont il était le gardien ?

Le soulèvement religieux eût été plus facile à vaincre s’il n’y avait eu que cupidité et parade. La sincérité passionnée et parfois héroïque d’une partie des prêtres et des fidèles fit la force de la résistance : et comment des âmes habituées aux terreurs du mystère n’imagineraient-elles point que tout ce qui modifie la Constitution même extérieure de l’Église risque au moins d’effleurer le dogme obscur qui réside en elle ?

Précisément parce qu’il est mystérieux on ne sait au juste jusqu’où s’étend sa sphère ; et quel drame pour ces consciences de prêtres se demandant si elles n’empiétaient pas sur le divin ! et ne recueillant, dans l’ombre où elles étaient accoutumées, que des réponses incertaines et de flottantes lueurs ! L’Assemblée s’impatiente, et le 3 janvier 1791, sur la proposition de Barnave et de Lameth, elle décide que si le lendemain les ecclésiastiques ou fonctionnaires publics n’en ont pas fini avec la formalité du serment, ils seront déchus.

Le lendemain, vingt-trois membres de l’Assemblée, tous curés, prêtent le serment. Le 6, Barnave demande que ceux qui n’avaient pas encore juré, soient interpellés nominativement par le Président. L’évêque d’Agen monte à la tribune et déclare qu’il ne jurera pas. Leclère, curé de la Combe, député du bailliage d’Alençon, dit qu’il est enfant de l’Église catholique et qu’il ne peut jurer. Couturier, curé de Senlis, ne veut jurer qu’avec réserve. L’évêque de Poitiers dit : « Je ne veux pas déshonorer ma vieillesse en prêtant le serment. » (Voir Robinet).

L’Assemblée, irritée, décide enfin sur une nouvelle motion de Barnave, que tous ceux, évêques ou curés qui n’ont point juré soient déchus et que leurs sièges soient déclarés vacants.

En fait, c’était appeler du clergé, à demi réfractaire, au pays. La bataille était incertaine encore : ou même l’Assemblée pouvait espérer, à cette date, qu’elle aurait raison du mouvement. Si les élections se faisaient partout ou presque partout paisiblement, si partout il y avait des candidats constitutionnels et assermentés aux fonctions de curé ou d’évêque, la résistance des réfractaires se lasserait sans doute, et la Révolution aurait échappé au plus grand des dangers.