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HISTOIRE SOCIALISTE

que bourgeoise qui n’avait rien de religieux et d’une philosophie générale qui était la négation même du christianisme, elle obligeait le prêtre, par les bienfaits dont elle comblait les paysans, à chercher et à reconnaître en elle un caractère divin. Elle l’obligeait à se rapprocher, dans son interprétation religieuse du monde, des sentiments naturels et humains, la charte primitive, le décalogue naturel.

Grand sujet de méditation pour nous tous. Et nous aussi, républicains socialistes, nous rencontrons aujourd’hui devant nous l’Église contre laquelle la Révolution bourgeoise eut à lutter il y a plus d’un siècle.

Elle est puissante encore, et dans toutes les classes : elle ralentit nos progrès ; et si soudain l’évolution socialiste s’accélérait en Révolution, si le prolétariat saisissait le pouvoir ou une grande partie du pouvoir, c’est sans doute l’Église qui deviendrait le centre de la résistance ; et peut-être pourrait-elle refouler encore pour un demi-siècle, pour un siècle même, le mouvement ouvrier comme en juin 1848, comme en mai 1871.

Il serait insensé de croire que la seule violence suffise à la déraciner : elle a enfoncé trop profondément sa puissance dans les habitudes, les préjugés, les affections ; et c’est par un long effort que nous diminuerons ses prises sur le monde.

La Révolution bourgeoise eut contre l’Église deux grandes forces, la force de la science et de la philosophie qui ne s’était communiquée qu’aux esprits les plus libres de la bourgeoisie, et la force des bienfaits immédiats assurés par elle aux paysans.

« Nous vous bénissons dans nos chaumières qui vont s’embellir, dans nos champs qui vont prospérer ».

Et nous, nous devons par un effort passionné d’instruction et d’éducation populaire, éveiller la raison, la pensée libre dans le prolétariat des champs et des villes nous devons aussi, dès maintenant, par un plan méthodique de réforme et d’organisation, par la coopération agricole, par l’institution de la grande propriété paysanne, communale ou coopérative, régie par des syndicats d’ouvriers ruraux, préparer les campagnes à recevoir sans étonnement et sans effroi, au jour décisif de la Révolution libératrice, le bienfait du communisme.

S’il n’y était point préparé, le paysan verrait sa ruine peut-être dans ce qui sera son salut ; et il faudrait perdre à acclimater son esprit aux nécessités du régime nouveau, le temps que la Révolution, sous peine de périr, devrait consacrer à l’organisation et à l’action.

Ce qui a sauvé la Révolution bourgeoise c’est que dans beaucoup de paroisses les paysans ont pu dire à la contre-révolution dès les premières semaines : « Des charges pesaient sur moi : j’en suis libéré ».

Pour que la Révolution communiste puisse de même dans les campagnes, neutraliser d’emblée, au moins en partie, l’action funeste du prêtre, il