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HISTOIRE SOCIALISTE

La Révolution mûrira soudain ces germes, complétera et amplifiera ces ébauches, sans que le paysan soit, une minute, déconcerté : et les travailleurs des campagnes, même s’ils sont encore chrétiens et superstitieux, pourront opposer un argument immédiat aux manœuvres sournoises et violentes de l’Église, alliée et servante de la propriété bourgeoise. Ce qui subsistera alors de foi ou d’habitude chrétienne pourra s’éteindre ainsi doucement, comme une flamme sans nourriture, et leur libération économique ne coûtera pas aux paysans les terribles et inutiles souffrances des déchirements religieux.

C’est à coup sûr à la reconnaissance passionnée d’une partie des paysans pour ses premiers bienfaits, que la Révolution bourgeoise a dû le concours enthousiaste de quelques prêtres de campagne : l’ardeur révolutionnaire de leurs « fidèles » s’était communiquée à eux. Écoutez le véhément langage du curé de Crosnes, Pierre-Guillaume Berthou, ancien maire de la dite paroisse, puis électeur et administrateur du district de Corbeil. Avant de prêter serment, le 30 janvier 1791, il parle ainsi :

« Si les enfants d’une même patrie, les membres d’une même famille regardent comme un jour de fête celui où ils sont invités à renouveler et à resserrer l’alliance protectrice de leur commune félicité, avec quelle délicieuse ivresse ce sentiment ne doit-il pas se répandre dans l’âme d’un prêtre citoyen ?

« Vous savez, mes frères, et je n’ai pas besoin de vous le dire, vous savez combien je chéris notre admirable Constitution ; vous connaissez mon application à en méditer la doctrine, et mon zèle à en suivre les progrès, et mon courage à venger ses droits et ma persévérance à étendre ses conquêtes ; vous avez été les témoins assidus et de mes déplaisirs, quand elle est menacée, et de ma joie, quand elle triomphe. Vous avez pu vous convaincre qu’elle était pour moi une seconde religion ; parce que le Dieu créateur de la bienfaisante liberté, de la douce égalité, de l’aimable fraternité, de la justice universelle, ne mérite pas moins notre culte que l’auteur et le consommateur de notre foi.

« Aussi dans cette dernière agression d’un sacerdoce inquiet pour ses prérogatives encore plus que pour ses autels, dans ce torrent de déclamations calomnieuses contre la nouvelle organisation que nos représentants ont décrétée, dans cette rébellion des ministres de toutes les classes contre la souveraineté nationale, dans ces divorces fréquents et scandaleux entre les pasteurs et leur troupeau, je suis bien sûr que vous n’avez cessé de me compter au nombre des plus intrépides défenseurs de la chose publique et de l’incorruptible patriotisme. Non, vous n’avez pas craint, un seul instant, que l’aîné de la famille consentît à déserter la maison commune, à trahir la confiance de ses frères, à flétrir les honneurs civiques de maire, d’électeur et d’administrateur qui lui avaient été décernés.