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HISTOIRE SOCIALISTE

« Le serment solennel que je vais déposer entre vos mains ne saurait donc être autre chose que l’expression sincère, l’expression constante de mes vœux, de mes sentiments, de mes travaux, de ma conscience et de ma conduite.

« Et que prétendent ces lévites abusés ou conspirateurs ? Est-ce à la Constitution qu’ils en veulent ? Elle est invincible. Est-ce après leurs anciennes jouissances qu’ils soupirent et se précipitent ? Leurs efforts sont aussi vains que leurs regrets. Est-ce autour de l’arche sainte qu’ils se réunissent ? Elle n’a pas besoin de leurs boucliers. Est-ce l’économie évangélique qui les éveille et leur met des armes à la main ? Quel délire !… Par quel étrange contraste les disciples d’un Dieu qui a fondé son Église sur la pauvreté, l’humilité, la charité, le renoncement à soi-même, la soumission au souverain et à ses lois, la fuite de ce que le monde préconise, la pratique de ce qu’il dédaigne, affectent-ils aujourd’hui une fastueuse opulence, une ambitieuse domination ?

« Docile aux leçons et aux exemples de mon divin maître, guidé par les pures et vives lumières qui jaillissent des sources apostoliques, pénétré des nobles sentiments et des sublimes vérités qui illustrèrent cet âge justement nommé l’âge d’or du christianisme, pourrais-je être ébranlé, par les raisonnements hypocrites de l’orgueil, de la cupidité, par les arguments subtils de la scholastique ? Pourrais-je écouter des traditions profanes incertaines, ennemies du genre humain ?

« Bien convaincu que le but de la société, même religieuse, est de procurer l’avantage de ceux qui sont gouvernés et non de ceux qui gouvernent, pourrais-je ne pas reconnaître et publier hautement que l’Assemblée nationale a usé de son droit en extirpant l’ivraie qui couvrait le champ du Seigneur, en moissonnant ce monstrueux assemblage d’abus et de prévarications qui le rendaient tout à la fois informe et stérile, en ramenant les pasteurs à l’ordre primitif, en adaptant le régime ecclésiastique à toutes les institutions de l’empire, en faisant concourir au système du bonheur public l’Évangile et la liberté ? »

C’est comme un écho des foudroyants éclats de Luther. Les prêtres, comme on le voit par l’exemple du curé Berthou, étaient pris dans le mouvement révolutionnaire par un curieux engrenage. D’abord, sous l’ancien régime, la communauté de souffrances, de servitude et d’humiliation avait rapproché du peuple, des paysans surtout, le bas clergé. Les curés avaient aidé à la confection et à la rédaction des cahiers dirigés contre les grands seigneurs laïques et les grands seigneurs d’Église. Plusieurs de ces curés, comme le curé Berthou, comme tous ces prêtres dont M. Guillemaut a relevé le nom dans son histoire du Louhannais, furent appelés aux fonctions publiques par le suffrage populaire : maires, administrateurs. Allaient-ils, soudain, quand parut la Constitution civile, rebrousser chemin ? Elle leur apparut, et