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Page:Jaurès - Histoire socialiste, I.djvu/666

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HISTOIRE SOCIALISTE

reçus avec insulte et raillerie. Que nous veut l’évêque de Rome ? Et quant à la bulle du pape, qu’elle soit brûlée. C’est ce que décident dans les premiers jours de mai les Sociétés fraternelles et patriotiques et le 5 mai au soir devant une foule immense, dans le jardin du Palais-Royal, le feu est mis à un énorme mannequin de huit pieds de haut représentant le Pape Pie VI : il était revêtu de tous les ornements et insignes pontificaux : il tenait d’une main un poignard, de l’autre les brefs du 10 mars et du 15 avril. Mais comme les brûleurs eux-mêmes prenaient garde de ne pas froisser et animer contre la Révolution le sentiment catholique si fort encore dans le peuple !

Bien curieux à cet égard est le réquisitoire lu contre le Pape par un des assistants en une sorte de parodie des jugements ecclésiastiques et des sentences d’inquisition… « Citoyens, il y a longtemps que les projets terribles de vos prêtres réfractaires vous auraient armés les Uns contre les autres ; vous vous égorgeriez aujourd’hui, si vous eussiez écouté leurs insinuations perfides ; une semaine consacrée à la célébration de nos plus saints mystères (la semaine de Pâques) était destinée à l’effusion du sang. C’était sur vos cadavres qu’ils devaient élever un autel au despotisme ! Que dis-je : ils conçurent encore des espérances funestes. Tarissez-en la source ; respectez dans leurs personnes une religion qu’ils nous accusent de violer lorsque ce sont eux-mêmes qui la dégradent ; qu’une effigie représentant les traits hideux du fanatisme tenant un poignard d’une main et le libelle de l’autre, soit jetée dans le bûcher qu’ils voulaient eux-mêmes allumer ?

« Que cette utile exécution leur apprenne que la France du xviiie siècle ne veut plus être l’esclave du despotisme ultramontrain ; qu’elle a arraché pour toujours le bandeau des préjugés et qu’en conservant le respect le plus profond pour la religion catholique, qui a été son berceau, elle peut sans scrupule livrer aux flammes l’image de l’insolent muphti qui se dit le vicaire d’un dieu de paix et qui aiguise les poignards de la fureur.

« Et sur ce nous demandons l’avis et jugement des bons citoyens, nos frères et amis qui ont entendu les motifs du présent réquisitoire. » (Cité par Robinet d’après le journal de Gorsas).

La foule répondit : Oui, oui, soit brûlé ; et le mannequin du pape, et le bref du pape flambèrent non sans un profond respect de tout le peuple assemblé pour la religion catholique.

En somme le mouvement provoqué par la Constitution civile du clergé et par la résistance naissante de l’Église fut profond et vif : mais il n’était point irrésistible. Il était neutralisé par la force de la Révolution et il n’en aurait pas empêché l’installation tranquille et souveraine, il se serait même sans doute arrêté et lassé bientôt sans la trahison du Roi qui déconcertait l’action révolutionnaire et méditait l’appel à l’étranger. Depuis le mois de novembre 1790, il n’était plus entouré des mêmes ministres.