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HISTOIRE SOCIALISTE

comme on l’assure, vous êtes-vous cotisés pour leur envoyer des soldats et de l’argent ? Pourquoi voit-on des évêques, un cardinal (Rohan surtout) à la tête de quelques troupes prêtes à fondre sur leur patrie ? Pourquoi ce vœu pour le succès de leurs armes ? Oseriez-vous en trouver la justice dans votre amour pour la religion ? Non, non vous ne nous tromperez plus. »

« C’est l’assurance que vous avez qu’ils vous rétabliront dans vos biens… Ces nobles vous bercent, il est vrai, de cette illusion et ils sentent le besoin qu’ils ont de vous pour séduire un peuple ignorant auprès duquel vous êtes leur unique appui. Mais si, une fois, leur triomphe était assuré, si une fois ils étaient rentrés dans leurs droits absurdes et dans leurs injustes privilèges, bien loin de vous rendre un seul pouce de terre, ils regretteraient que l’Église ne fût plus assez riche pour lui prendre de quoi s’indemniser des frais de leur campagne.. »

C’est un acte d’accusation terrible. Selon le curé Gaule les prêtres réfractaires sont coupables de trahison envers la patrie : ils font plus que des vœux pour la réussite des meneurs, ils vont jusqu’à soudoyer les envahisseurs. Et cela non par exaltation de fanatisme religieux mais par calcul sordide, pour recevoir des ennemis de la France triomphants les biens ecclésiastiques vendus, les prébendes supprimées. L’acte d’accusation dressé par les prêtres constitutionnels contre les autres aurait suffi à les conduire à l’échafaud si, à cette date, il eût été dressé. En tout cas il prépare les esprits à des rigueurs désespérées. Il n’y a pas dans Marat une seule page plus redoutable.

Quelle était, en ce moment en Vendée, la force respective des deux partis ? Il est impossible de la mesurer : les patriotes des Sables-d’Olonne écrivent en mars aux Jacobins de Paris qu’ils sont débordés, qu’ils ne peuvent tenir tête aux forces de contre-révolution et de fanatisme. Pourtant, ils ne se découragent pas : et stimulés par le péril ils fondent une « Société ambulante des amis de la Constitution » qui supplée à l’insuffisance des centres urbains dans toute la Vendée et qui va de village en village opposer la pensée de la Révolution à la propagande cléricale et aux saints et saintes du paradis descendant sur les fidèles ébahis par la vertu de la très sainte lanterne magique de l’invention du jésuite Guichet.

Les insermentés commencent à recourir à la force. En plusieurs paroisses les habitants s’assemblent pour empêcher la vente des biens attenant à la cure. Les émissaires des nobles donnent des mots d’ordre de ferme en ferme et commencent à organiser des bandes, et les administrateurs du département de la Vendée, sont obligés de demander des renforts au ministre de la guerre en avril et mai. Pourtant à travers toutes ces difficultés, il était procédé en mai aux élections de l’évêque et des prêtres : et l’installation du nouveau clergé se faisait tant bien que mal.

A Paris et dans le peuple révolutionnaire des villes la résistance des prêtres insermentés excitait la plus violente colère ; les brefs du Pape furent