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HISTOIRE SOCIALISTE

des trois autres sont tous mauvais, et ne diffèrent entre eux que par le plus ou le moins. Les Jacobins l’emportent cependant sur les autres par leur extrême scélératesse ; comme tous les moyens leur sont bons, ils ont pris un grand ascendant, mais ils commencent à perdre beaucoup, et sans le secours de la canaille, qui est soldée par eux, et les velléités des aristocrates, ils seraient déjà perdus. Leur division avec les 89 et les monarchistes achèvera de les perdre.

« Mirabeau est toujours payé par la cour et travaille pour elle ; mais il n’a pas autant de moyens pour faire le bien qu’il en avait pour faire le mal, et il est obligé de se cacher sous les dehors de la démocratie pour ne pas perdre toute son influence. Ses principes sont toujours mauvais, mais ils le sont moins que ceux des autres. Malgré cela il est intéressant de ne pas l’avoir contre soi.

M. de Mont travaille avec lui, soit crainte ou prudence, ou intérêt, ou bien tous les deux, il se dit maintenant attaché au roi. Ils ont acheté plusieurs personnes, comme MM. Talon et Semonville, qui ont beaucoup influé à soulever Paris, et qui doivent travailler à présent dans le sens contraire. Tout cela n’est utile qu’à ramener un peu d’ordre et de tranquillité et à assurer la sûreté de la famille royale, mais jamais on ne pourra se servir d’eux pour autre chose.

« Paris, quoique fort changé, vit encore d’espérance, et les idées d’égalité et de liberté le séduisent encore, les provinces de même. Le mécontentement est grand et augmente, mais il ne peut se manifester tant qu’il n’y aura pas de chefs et de centre, et, tant que le Roi sera enfermé à Paris, il ne peut avoir ni l’un ni l’autre ; et, quoi qu’il arrive, jamais le roi sera roi par eux, et sans des secours étrangers qui en imposent même à ceux de son parti. Il faut qu’il en sorte, mais comment et où aller ?

« Le parti du roi n’est composé que de gens incapables, ou dont l’exaspération et l’emportement sont tels qu’on ne peut ni les guider ni leur rien confier, ce qui nécessite une marche plus lente et de grandes précautions. Le lieu de la retraite en demande encore davantage. Il faut y être bien en sûreté ; il faut avoir trouvé un homme capable et dévoué qui eût de l’influence sur les troupes, qu’il lui faut bien connaître auparavant. Mais tous ces moyens seraient encore insuffisants sans les secours des puissances voisines : l’Espagne, la Suisse et l’Empereur, et sans l’assistance des puissances du Nord (la Russie et la Suède), pour en imposer à l’Angleterre, la Prusse et la Hollande dans le cas très probable où elles voudraient mettre obstacle aux bonnes intentions de ces puissances et, en les attaquant, les empêcher de secourir efficacement le Roi de France.

« Sans cette réunion, je crois impossible que jamais le roi de France fasse aucune tentative pour reprendre son autorité. Tous les ressorts sont rompus, toutes les têtes sont égarées, il n’y a plus aucun ordre, aucune subordination