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HISTOIRE SOCIALISTE


Ainsi le grand secret avait percé les murailles des Tuileries et il était allé jusqu’à la cave de Marat se révéler à la Révolution. Il faut citer ce mémoire et cette lettre de Fersen interprète du Roi et de la Reine, car il nous donne la nuance exacte de leur pensée, et il constitue en même temps un nouvel acte d’accusation formidable contre la monarchie.

C’est de peur que la Révolution en se modérant, en s’organisant, ne ralliât peu à peu tous les esprits, et ne devînt irrévocable par l’adhésion presque unanime de la France, que Louis XVI et Marie-Antoinette se décident à brusquer le mouvement.

Le « mémoire du comte de Fersen pour le Roi et la Reine de France », du 27 mars 1791, paraît beaucoup moins destiné à déterminer par des conseils leur résolution qu’à en fixer par écrit les motifs : « Il ne paraît pas douteux, écrit-il, qu’il ne soit nécessaire d’agir, et d’agir vigoureusement, si l’on veut rétablir l’ordre et le bonheur dans le royaume, le sauver d’une ruine totale, empêcher son démembrement, remettre le Roi sur le trône et lui rendre son autorité.

« La marche uniforme et constante des Jacobins dans leur scélératesse, la désunion des démocrates dans l’Assemblée, le mécontentement des provinces qui augmente visiblement, mais ne peut éclater, faute d’avoir un centre et un point de réunion ; la détermination des princes et en particulier du prince de Condé, d’agir, si le Roi n’agit pas, tout cela paraît même être favorable, et plus on tardera, plus il sera difficile.

« Mais comment agir d’après les nouvelles qu’on reçoit de l’empereur, avec les indécisions de l’Espagne, et la difficulté de trouver de l’argent ? Deux partis se présentent : l’un de ne rien entreprendre avant d’avoir formé des alliances et obtenu des différentes puissances les secours nécessaires, tant en hommes qu’en argent ; l’autre de n’attendre pour sortir de Paris, que l’assurance des bonnes dispositions des puissances étrangères, et d’avoir trouvé l’argent nécessaire pour subvenir, pendant deux ou trois mois, à la solde des troupes, époque à laquelle on aurait obtenu un emprunt en Suisse. »

« Le premier de ces partis est sans contredit le plus sûr ; il présente moins de danger pour leurs Majestés, et l’avantage d’un succès moins douteux ou du moins contesté.

« Mais, comme il n’est pas possible d’en prévoir l’époque, n’est-il pas à craindre que les maux de l’État étant considérablement augmentés pendant ce temps, il soit plus difficile de les réparer ?

« L’habitude ou le découragement n’auront-ils pas trop gagné pour qu’il soit alors possible de les vaincre ?

« les esprits exaltés ne se seront-ils point calmés, ne se réuniront-ils pas pour créer un ordre de choses toujours désavantageux au roi, mais où les particuliers trouveront encore leur compte, par la tranquillité dont ils jouiront et qu’ils préféreront alors aux convulsions de la guerre civile ?