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HISTOIRE SOCIALISTE

antérieures seraient cassées ? Vraiment il serait trop facile au clergé de simuler un bon vouloir impuissant, de décourager successivement les acheteurs et de garder toutes ses terres en alléguant qu’il n’a pu les vendre.

Ainsi c’était bien la ruine complète pour tous les créanciers de l’État, dont on se débarrassait par la banqueroute, pour les acheteurs de biens nationaux qu’on dépouillait de leurs biens sans les rembourser, enfin pour les porteurs d’assignats qui, perdant leur gage n’avaient plus en main qu’un papier mort, une feuille sèche tombée de l’arbre de la Révolution, frappé de la foudre.

C’était la ruine de la bourgeoisie active et révolutionnaire, la ruine aussi des paysans, acheteurs des biens d’Église et sur lesquels d’ailleurs la dîme, partie du domaine de l’Église, allait être rétablie. Et c’était pour accomplir, au profit de l’Église et du roi, ce meurtre de la France, que Louis XVI appelait l’or et les armes de l’étranger ! C’est un crime inexpiable même si l’on fait la part très large aux préjugés royaux, même si on juge le roi avec les idées que, comme roi, il pouvait avoir alors.

Il savait bien, par l’exemple de l’Angleterre, qu’une monarchie absolue peut se transformer en monarchie constitutionnelle ou parlementaire sans que la nation périsse ou soit affaiblie. Il savait bien, par sa propre expérience, que la banqueroute était mortelle puisque c’est pour l’écarter qu’il avait couru toutes les chances de la convocation des États-Généraux. Quand il faisait appel aux sabreurs Croates pour imposer à la France un régime d’absolutisme et de banqueroute, il sacrifiait à son monstrueux égoïsme, à sa vanité doucereuse et exaspérée, ce qu’il savait lui-même être le bien de la patrie.

Et ce sont les descendants, plus ou moins directs, de cette trahison royale qui osent aujourd’hui se donner comme les seuls gardiens de l’esprit « national ! » A quel abêtissement serait descendu notre peuple s’il pouvait prendre au sérieux tout ce nationalisme de félonie et de mensonge !

Mais ce n’est point tout cela qui tourmentait à ce moment le baron de Breteuil. Dans la lettre si grave sur la banqueroute et les assignats, un seul mot lui avait fait dresser l’oreille : le nom de M. de Saint-Priest. N’est-ce pas lui qui allait devenir, dans les résolutions de la première heure qui entraîneraient tout, le conseil, le ministre dirigeant ?

« Je ne puis avoir d’avis sur le projet du roi, relativement à M. de Saint-Priest, parce que je ne conçois pas bien ce que se propose Sa Majesté. Il est incontestable, comme vous le remarquez fort bien, que le roi contracterait un bien grand engagement avec lui, en l’emmenant, si c’était pour avoir un conseil à portée pour les premières démarches. » Quant à la banqueroute, il se réserve : « toute détermination relative à cet objet serait anticipée. »

Pendant que se préparait ce grand crime contre la Révolution et la patrie, pendant que la royauté « nationale » machinait avec l’étranger, peu empressé d’ailleurs et rechignant, l’invasion, la banqueroute, l’anéantissement de la