Page:Jaurès - Histoire socialiste, I.djvu/709

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
699
HISTOIRE SOCIALISTE

de désintéressement soit contagieux et que le Roi se retire sans regret de son absolutisme de jadis, puisque la grande Assemblée révolutionnaire se retire elle-même de son pouvoir légal.

Or, tout à coup, sur l’Assemblée ainsi obstinée à réconcilier la Révolution et le roi éclate la foudroyante nouvelle : « Le roi est parti, et sa fuite est sans doute le signal de la lutte ouverte, violente, de la puissance royale contre la Révolution ».

Le roi, en effet, avait quitté les Tuileries dans la nuit du 20 juin, pour se rendre avec sa famille à Montmédy, près de la frontière, où Bouillé devait le rejoindre. C’est à onze heures du soir que la famille royale avait fui. Fersen lui avait procuré un passeport au nom de la baronne de Korff. C’est Mme de Tourzel, gouvernante des enfants, qui figurait la baronne. La reine, voyageant comme gouvernante, devait être Mme Rocher, Mme Élisabeth devenait Rosalie, demoiselle de compagnie et le roi était un valet de chambre du nom de Durand, avec habit gris et perruque. Ils purent sortir sans être reconnus.

Ils montèrent dans une première voiture que Fersen, habillé en cocher, conduisit jusqu’à Bondy. Là, ils prirent une vaste berline, que conduisaient trois jeunes gardes du corps, portant le costume jaune des courriers ; ils devaient gagner Montmédy par Châlons-sur-Marne et Sainte-Ménéhould. Fersen après les avoir quittés, alla tout droit vers la Belgique et de Mons, le 22 juin, à 11 heures du matin, il écrivit au baron de Taube : « Mon cher ami, le roi, la reine, Mme Élisabeth, le Dauphin et Madame (la jeune sœur du Dauphin), sont sortis de Paris à minuit ; je les ai accompagnés jusqu’à Bondy, sans accident. Je pars dans ce moment pour aller les joindre. » Un peu plus tôt, à 8 heures du matin, il avait écrit à son père : « J’arrive ici dans l’instant, mon cher père. Le roi et toute la famille sont sortis de Paris heureusement le 20, à minuit. Je les ai conduits jusqu’à la première poste. Dieu veuille que le reste de leur voyage soit aussi heureux. J’attends ici Monsieur à tout moment. Je continuerai ensuite ma route le long de la frontière, pour joindre le roi à Montmédy, s’il est assez heureux pour y arriver. »

Comment cette fuite du roi et de toute sa famille fut-elle possible ? Ils sortirent par un escalier de service, donnant sur la cour des princes et, confondus avec les nombreuses personnes qui, à cette heure, sortaient du château, ils ne furent point reconnus. Mais comment la surveillance ne fut-elle pas plus exacte ? Les avertissements pourtant, depuis des semaines et des mois, ne faisaient pas défaut. J’ai déjà noté les avis singulièrement précis de Marat à la fin de mars et au commencement d’avril : il n’avait pas cessé depuis. À vrai dire, j’ai beau chercher dans la collection de l’Ami du Peuple, l’article « foudroyant » dont parle Louis Blanc. Je ne parviens pas à le découvrir. En tout cas, il ne pourrait être des dernières semaines, puisque, d’après Louis Blanc, il renferme ces mots : « Parisiens, insensés Parisiens, je suis las