Page:Jaurès - Histoire socialiste, I.djvu/710

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
700
HISTOIRE SOCIALISTE

de vous le répéter : ramenez le roi et le dauphin dans vos murs. » Or, en mai et juin ils étaient à Paris, et je me demande si ce que Louis Blanc appelle un article de Marat, sans d’ailleurs en donner la date, n’est pas simplement un résumé plus ou moins exact de plusieurs articles différents, et notamment d’un article du 20 avril : « Parisiens, vous seriez les bourreaux de trois millions de vos frères, si vous aviez la folie de lui permettre de s’éloigner de vos murs. »

Mais, ce qu’il est intéressant de noter avec plus de précision que ne l’a fait le grand historien, ce sont les avertissements singuliers, mêlés de calomnies insensées et de vérités saisissantes, que Marat ne cessa de donner en juin. Et d’abord, le lundi 6 juin, voici une communication étrange : « A l’Ami du peuple. Comment se fait-il, cher Marat, que du fond de votre souterrain, vous voyiez cent fois plus clair à toutes les menées des contre-révolutionnaires que nos patriotes qui suivent de si près toutes leurs démarches ? Vous ne cessez de leur répéter que tout est prêt pour la contre-révolution, qu’il n’y a plus qu’à mettre le feu à la bombe, que la guerre civile est allumée dans tout le royaume si la famille royale vient à fuir, et que nous sommes perdus à jamais si nous ne la surveillons jour et nuit. Apprenez donc que notre bonne étoile vient encore une fois de sauver la patrie et que les monstres acharnés à notre perte l’eussent enfin consommée dans la nuit du samedi dernier si le roi n’avait un excellent physique. Sa femme, toujours à l’obséder comme une furie, travaillait depuis huit jours à le décider à la fuite ; elle le conjurait au nom de sa gloire, de l’amour de son fils, de l’intérêt de ses fidèles sujets ; elle lui répondait de tous les événements, et toujours Louis opposait à Antoinette la crainte de perdre la couronne. Irritée de ne pouvoir rien gagner sur lui, elle use de supercherie, elle le provoque à souper le verre en main, dans l’espoir que l’excellent baume fera plus que son éloquence et déjà elle commençait à se livrer à la joie.

« Une nuit orageuse semblait favoriser l’affreuse trame en la couvrant d’un sombre voile. Dès le matin, les principaux conspirateurs avaient le mot, et dans la soirée Motté, leur digne chef, avait fait courir l’ordre aux meneurs de ses coupe jarrets de rassembler leurs bandes infernales. Conjurés et brigands se rendent à minuit, et par petits pelotons aux Champs-Élysées. Ils y sont joints par les satellites en épaulettes et les mouchards à gages de tous les bataillons.

« Réunis en armes et en uniformes au nombre de sept mille, ils attendaient le signal convenu pour enlever la famille royale. Les chefs des conspirateurs étaient rassemblés au château des Tuileries, et les voitures étaient prêtes : il semblait qu’il n’y eut plus qu’à monter dedans et à fouetter les chevaux. Mottié, Virieu, Despremenil, d’André, La Galissonnière, Gouvion, Lagasse, Lacolombe et cent autres qui étaient auprès d’Antoinette n’attendaient plus que l’instant d’emballer le roi pour Bruxelles.