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HISTOIRE SOCIALISTE

l’égalité, le premier acte qui pourrait suivre serait l’anéantissement de la propriété. (Applaudissements). »

La question était largement posée : et au point de vue de la Révolution bourgeoise Barnave aurait eu raison si l’on avait pu supposer que le roi était maintenant résigné à la Révolution et qu’il ne tenterait pas, lui, de la rouvrir à sa manière. Là était le point décisif : et il semble que c’est sur ce point que les démocrates de l’extrême gauche auraient dû porter leur effort. Ils n’avaient en somme qu’une chose à dire. L’expérience démontre, après tant de serments solennels et violés, que Louis XVI et la Révolution ne peuvent s’accorder.

Il est permis de penser que ni le fils, ni le frère, ni le cousin de Louis XVI n’accepteront avec plus de sincérité les principes révolutionnaires. Il n’y a donc qu’une solution : écarter non seulement le monarque mais la monarchie et installer un véritable gouvernement national. C’est à tort que l’on redouterait des agitations et du trouble : le calme profond de Paris et du pays tout entier pendant l’absence du roi et pendant la royauté de l’assemblée démontre que la nation est préparée à l’exercice direct de la souveraineté toute entière. Au demeurant, les agitations seront bien plus grandes si le roi, humilié par son arrestation, recommence ses entreprises contre la Révolution. Il faudra alors procéder au milieu des orages et des périls à un changement de Constitution que nous pouvons accomplir aujourd’hui dans une tranquillité suffisante. À la thèse monarchique et conservatrice de Barnave, c’est une thèse républicaine et démocratique qu’il fallait opposer. L’extrême gauche n’osa pas. Elle se borna à ergoter sur l’inviolabilité royale. « Si le roi fait violence à votre femme ou à votre fille, le déclarerez-vous inviolable ? » Pétion termina bien son discours en demandant que le roi fût jugé soit devant l’assemblée nationale, soit devant une Convention ad hoc. » Mais sa pensée était très incertaine.

Tout en réclamant les poursuites, il paraissait prévoir et désirer l’acquittement : « Quand il ne serait prononcé en définitive aucune peine, il est très essentiel de déclarer qu’il peut en être prononcé et de consacrer le principe.

« Si la nation, dans sa clémence, veut jeter un voile religieux sur le délit de celui qu’elle a choisi pour son chef, il faut que cette clémence parle et que l’absolution ne paraisse pas dictée par la loi. »

Ce n’est pas ainsi qu’on détermine un grand peuple à mettre en accusation la royauté séculaire : il faut être réellement résolu à aller jusqu’au bout et à frapper la monarchie. Pétion disait avec embarras : « Nous ne sommes pas forcés de recourir à des rigueurs », et il annonçait, sans le formuler à la tribune, un système qui concilierait tout. Ce système, qu’il expliqua par écrit, consistait à « entourer le chef du pouvoir exécutif d’un certain nombre de représentants du peuple électifs et temporaires ». C’était comme un conseil