Page:Jaurès - Histoire socialiste, I.djvu/726

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
716
HISTOIRE SOCIALISTE

exécutif délégué par l’Assemblée auprès du roi. Et, dans la pensée de Pétion, le Conseil des ministres choisi par le roi subsistait aussi. C’était compliqué et puéril. C’était le maintien de la royauté avec un conseil de tutelle qui aurait été ou ridicule ou souverain. Ah ! que d’efforts, que de tâtonnements, que de transitions maladroites et incertaines pour passer de l’idée de monarchie à l’idée de République ! Robespierre opposa en termes vagues l’inviolabilité de la nation à l’inviolabilité du roi, et sur la République il eut les paroles les plus équivoques : « Qu’on m’accuse, si l’on veut, de républicanisme ; je déclare que j’abhorre toute espèce de gouvernement où les factieux règnent. Il ne suffit pas de secouer le joug d’un despote ; l’Angleterre ne s’affranchit du joug de l’un de ses rois que pour retomber sous le joug plus avilissant encore d’un petit nombre de ses concitoyens. Je ne vois point parmi nous, je l’avoue, le génie puissant qui pourrait jouer le rôle de Cromwell ; je ne vois pas non plus personne disposé à le souffrir ; mais je vois des coalitions plus actives et plus puissantes qu’il ne convient à un peuple libre, mais je vois des citoyens qui réunissent entre leurs mains des moyens trop variés et trop puissants d’influencer l’opinion. »

La question n’était pas là. Il ne s’agissait pas de savoir si la République substituée à la monarchie pourrait être plus ou moins menacée d’oligarchie. Il s’agissait de savoir si, en ouvrant le procès du roi et de sa famille, on était résolu à aller jusqu’à la République, qui était, pour tout homme sensé, l’inévitable conséquence de la mise en jugement et de la condamnation de Louis XVI.

Robespierre se dérobait donc ; il se dérobait aussi lorsqu’il demandait « de quel droit on excepte dans le décret les personnes qui ne sont pas inviolables ; je veux parler de Monsieur, frère du roi, par exemple ». Il n’osait pas nommer la reine. Le langage de l’abbé Grégoire fut plus net : « La défiance est la sauvegarde d’un peuple libre : la confiance ne se commande pas. Hé bien, pouvez-vous jamais réinvestir Louis XVI de la confiance nationale ? S’il promet d’être fidèle à la Constitution, qui osera s’en porter garant ?… Je demande qu’au plus tôt on assemble les collèges électoraux et qu’on nomme une Convention nationale. » C’est la marche que la Révolution suivra une année plus tard, après le 10 août. Mais l’abbé Grégoire lui-même n’ose pas dire : « Et si cette Convention reconnaît qu’il y a incompatibilité non seulement entre Louis XVI et la Révolution, mais entre la Révolution et la monarchie, nous sommes prêts pour la liberté républicaine. » Lui aussi a laissé un voile sur l’avenir prochain de la France. Grande faiblesse pour des politiques !

Le vieux Vadier, auquel M. Tournier a consacré une pénétrante étude très documentée, fut d’une extrême violence contre Louis XVI. L’ancien officier démissionnaire après Rosbach, l’ancien procédurier, juge naguère au présidial de Pamiers, crut le moment venu de sortir de l’ombre par un coup