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HISTOIRE SOCIALISTE

opposés au mouvement. Pour tout emporter, la bourgeoisie nantaise va fait appel au peuple ; les ouvriers, sortis des manufactures et des ateliers, enveloppèrent la salle où le bureau municipal délibérait, et des milliers de prolétaires, réunis pour faire peur aux récalcitrants, décidèrent la première victoire révolutionnaire.

Une délégation fut envoyée auprès du Roi pour obtenir de lui qu’il imposât aux États de Bretagne ce règlement nouveau. Le Roi renvoya la question aux États de Bretagne eux-mêmes, mais promit d’intervenir si les ordres privilégiés résistaient. La noblesse et le clergé ayant refusé leur assentiment aux demandes du Tiers, le Roi ajourna les États. Mais les nobles bretons prétendirent siéger tout comme s’ils étaient toute la souveraineté, et le conflit entre la noblesse et la bourgeoisie de Rennes s’exaspéra. Rennes était le centre d’études de la Bretagne, c’est là que les fils de la bourgeoisie venaient se préparer à la médecine et au barreau, et ils supportaient avec une impatience grandissante les dédains et les privilèges des nobles. Des rixes éclatèrent dans les rues : deux étudiants furent tués. Aussitôt, un député de Rennes accourt à Nantes : les bourgeois Nantais se réunissent à la Bourse du Commerce, qui était alors tout naturellement un foyer de Révolution bourgeoise comme demain peut-être les Bourses du Travail seront un foyer de Révolution ouvrière et c’est devant une Assemblée très nombreuse que le délégué de Rennes fit appel au concours de Nantes. Ce délégué se faisait appeler : Omnes omnibus (Tous pour tous). Était-ce un ressouvenir du jeune graveur breton François Omnès qui, pour des actes héroïques de sauvetage accomplis à Paris, avais reçu une médaille sur laquelle la devise : Omnes Omnibus était gravée ? Était-ce prudence et voulait-il surtout dérober au pouvoir son vrai nom ? Cédait-il à une sorte de besoin mystique ? Les Révolutions naissantes, même quand elles doivent aboutir au triomphe d’une classe se réclament de l’intérêt universel et de l’universelle solidarité. Le jeune orateur inconnu termina sa harangue, applaudie avec enthousiasme, par un véhément appel : « Citoyens, la patrie est en danger, marchons pour la défendre ! » Aussitôt une protestation est rédigée où éclate déjà toute la flamme de la Révolution : « Frémissant d’horreur à la nouvelle de l’assassinat commis à Rennes, à l’instigation de plusieurs membres de la noblesse ; convoqués par le cri général de la vengeance et de l’indignation ; reconnaissant que les dispositions pour affranchir l’ordre du Tiers de l’esclavage où il gémit depuis tant de siècles, ne trouvent d’obstacle que dans cet ordre dont l’égoïsme forcené ne voit dans la misère et les larmes des malheureux qu’un tribut odieux qu’ils voudraient étendre jusque sur les races futures ;

« D’après le sentiment de nos propres forces et voulant rompre le dernier anneau qui nous lie, jugeant d’après la barbarie des moyens qu’emploient nos ennemis pour éterniser notre oppression, que nous avons tout à craindre