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HISTOIRE SOCIALISTE

de l’aristocratie qu’ils voudraient ériger en principes constitutionnels, nous nous en affranchissons dès ce jour. »

« L’insurrection de la liberté et de l’égalité intéressant tout vrai citoyen du Tiers, tous doivent la favoriser par une inébranlable et indivisible adhésion ; mais principalement les jeunes gens, classe heureuse à qui le ciel accorda de naître assez tard pour pouvoir espérer de jouir des fruits de la philosophie du xviiie siècle.

« Jurons tous, au nom de l’humanité et de la liberté, d’élever un rempart contre nos ennemis, d’opposer à leur rage sanguinaire le calme et la persévérance des paisibles vertus ; élevons un tombeau aux deux martyrs de la liberté, et pleurons sur leurs cendres jusqu’à ce qu’elles soient apaisées par le sang de leurs bourreaux.

« Avons arrêté, nous, soussignés, jeunes gens de toutes les professions, de partir en nombre suffisant pour en imposer aux vils exécuteurs des aristocrates ; regarderons comme infâmes et déshonorés à jamais ceux qui auraient la bassesse de postuler ou même d’accepter les places des absents.

« Protestons d’avance contre tous arrêts qui pourraient nous déclarer séditieux, lorsque nous n’avons que des intentions pures et inaltérables. Jurons tous, au nom de l’honneur et de la patrie, qu’au cas qu’un tribunal injuste parvînt à s’emparer de quelques-uns de nous et qu’il osât un de ces actes que la politique appelle de rigueur, qui ne sont en effet que des actes de despotisme, sans observer les formes et les délais prescrits par les lois, jurons de faire ce que la nature, le courage et le désespoir inspirent pour sa propre conservation. »

Belle et généreuse exaltation ! Noble appel de la jeunesse à la philosophie du xviiie siècle. On devine les passions et les rêves qui fermentaient au cœur de la jeunesse bourgeoise dans les années qui précédèrent la Révolution ; plus concentrés et plus violents peut-être en Bretagne qu’en toute autre province. Pour que la puissance économique d’une classe montante devienne enfin puissance politique, il faut qu’elle se traduise en pensée, qu’elle aboutisse à une conception générale du monde, de la société et de la vie. L’ambition bourgeoise des commerçants et industriels nantais prenait, dans les écoles de Rennes, une forme plus haute, un accent révolutionnaire et humain. Mais sans la croissance, sans la maturité économique de la bourgeoisie de Nantes, les juvéniles ardeurs des étudiants de Rennes se seraient vite dissipées en fumeuses paroles. C’est parce qu’elle était devenue, à Nantes, une grande force de production de négoce et de propriété, que la bourgeoisie bretonne pouvait être à Rennes une grande force d’enthousiasme et de pensée. Nantes était le laboratoire de richesse et de puissance d’où les jeunes étudiants exaltés des écoles de Rennes tiraient la substance même de leurs rêves. Au reste, dans le discours du jeune délégué de la jeunesse rennaise et dans la décision finale qu’il propose, il y a une parole profonde : « D’après le