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HISTOIRE SOCIALISTE

chaînes, a cru devoir établir une autorité centrale destinée à régir mon empire, comme si le trône était vacant ou en minorité. Les choses, avec la permission de Dieu, ne sont point ainsi ; à quelques orages près, je jouis de la liberté nécessaire à un prince, et moi seul dois donner des ordres dans mon État. Vous voudrez donc bien, Monsieur le baron de Breteuil, dès la réception de la présente, vous transporter à Vienne, auprès de notre puissant et cher frère l’Empereur, pour lui communiquer nos intentions. Vous agirez de même auprès de toutes les têtes couronnées pour les supplier de ma part en mon nom de n’admettre ni reconnaître la susdite régence. Les actes de cette autorité contradictoire n’aboutiraient qu’à irriter davantage mon peuple et le porteraient infailliblement aux derniers excès contre moi. »

C’est le cri de la peur : mais la peur, du moins depuis Varennes, avait-elle assagi Louis XVI ? L’avait-elle décidé enfin à accepter sans arrière-pensée de résistance et de trahison la Constitution à laquelle il allait jurer fidélité ? Il continue au contraire ses négociations obscures et son double jeu : toujours redoutant les imprudences des émigrés et des princes, mais toujours sollicitant le secours de l’étranger.

Dès le 27 juin, peu de jours après Varennes, Fersen écrit de Bruxelles à Marie-Antoinette une lettre chiffrée : « Le malheur qui vient d’arriver doit changer entièrement la marche des affaires, et si l’on persiste dans la résolution où l’on était, de faire agir pour soi, ne le pouvant plus soi-même, il est nécessaire de recommencer les négociations et de donner à cet effet un plein pouvoir. Il faut que la masse des puissances qui agira soit assez forte pour en imposer et préserver ainsi des jours précieux. Voici les questions auxquelles on doit répondre :

« 1o Veut-on qu’on agisse malgré toutes les défenses qu’on serait dans le cas de recevoir ?

« 2o Veut-on donner les pleins pouvoirs à Monsieur ou au comte d’Artois ?

« 3o Veut-on qu’il emploie sous lui le baron de Breteuil ou confie-t-on à M. de Calonne, ou veut-on lui en laisser le choix ? »

Et Fersen adresse au roi une « forme des pleins pouvoirs », qui aurait été l’abdication de Louis XVI aux mains de ses frères.

« Étant détenu prisonnier dans Paris, et ne pouvant plus donner des ordres nécessaires pour rétablir l’ordre dans mon royaume, pour rendre à mes sujets le bonheur et la tranquillité, et recouvrer mon autorité légitime, je charge Monsieur et à son défaut le comte d’Artois, de veiller pour moi à mes intérêts et à ceux de ma couronne, donnant à cet effet des pouvoirs illimités ; j’engage ma parole royale de tenir religieusement et sans restriction tous les engagements qui seront stipulés avec lesdites puissances : et je m’engage à ratifier dès que je serai en liberté tous les traités, conventions ou autres pactes qu’il pourrait contracter avec les différentes puissances qui voudront