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HISTOIRE SOCIALISTE

« Les vœux que je forme à cet égard tendent uniquement au bonheur de LL. MM. Très-Chrétiennes et de leurs sujets, et à l’établissement de la tranquillité et de l’ordre public dans ce royaume si voisin de mes États et avec lequel mes sujets ont des relations d’amitié et de commerce. Je verrai avec plaisir tout événement qui pourra contribuer à des objets si intéressants ; et si le nouvel ordre de choses paraissait présenter des conséquences qui pourraient influer sur les intérêts de mes sujets, je n’aurais aucune difficulté de m’expliquer ultérieurement là-dessus de la manière la plus franche avec les différentes puissances de l’Europe avec lesquelles j’ai le bonheur de vivre en paix et en bonne intelligence. »

Gustave III avait beau tourner et retourner cette lettre. C’était un refus catégorique. Et l’Angleterre, bien décidément, ne voulait pas à cette date se mêler des choses de France. D’ailleurs Fersen constatait l’irrésolution, les lenteurs de l’empereur Léopold lui-même. Et le 10 octobre, il écrit à la reine : « Je vous plains d’avoir été forcés de sanctionner, mais je sens votre position : elle est affreuse, et il n’y avait pas d’autre parti… L’Empereur est le moins voulant ; il est faible et indiscret ; il promet tout, mais son ministère, qui craint de se compromettre et voudrait éviter de s’en mêler, le retient surtout. »

Ainsi, dans cette période qui suit Varennes, tout est inconstant, incohérent et vague dans les conseils de l’Europe comme dans les conseils du roi. Dans la Révolution même il y a malaise et incertitude. Elle sent très bien que la volonté du roi reste une inconnue redoutable : et elle essaie en vain de se persuader que tout conflit avec la royauté est clos. Mais enfin aucun péril immédiat et précis ne menace l’œuvre révolutionnaire, et elle se dresse, édifice résistant et superbe, sous les grises et changeantes nuées. Sera-ce bientôt l’orage et la foudre ? Ou bien l’éternelle sérénité ?

Au moment où la Constituante se séparait, elle put, au plus profond de sa conscience, se rendre ce témoignage qu’elle avait fait un effort immense et que cet effort n’était pas vain. Les ordres étaient abolis, et l’Assemblée prochaine ne compterait plus que des représentants de la nation. Le système féodal était blessé à mort. L’arbitraire royal était aboli, et la loi, œuvre de la nation, expression de sa volonté, pouvait se transformer avec cette volonté même, se prêter aux nécessités toujours nouvelles des sociétés vivantes. Le conflit social entre la bourgeoisie et le prolétariat s’ébauchait, le conflit politique entre l’oligarchie bourgeoise et la démocratie était déjà aigu, mais toujours, entre bourgeois et prolétaires, l’union se refaisait aux grands jours de crise, quand la Révolution et la nation paraissaient menacées.

Dans les derniers mois de la Constituante, la tendance bourgeoise s’était affirmée avec une force particulière, et Barnave, dans son « Examen critique de la Constitution », en a justement souligné les éléments conservateurs. « J’ai fait les plus grands efforts lors de la révision pour faire augmenter le taux de contribution exigé de la part des électeurs, ainsi je ne dois pas être suspect