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HISTOIRE SOCIALISTE

la loi générale, à la Constitution, et elles ne tardaient pas à être réprimées. Mais je veux marquer la force des poussées démocratiques qui se produisaient et qui, dans une longue période de liberté et de paix, auraient sans doute neutralisé les tendances censitaires de la bourgeoisie. La Constitution, en même temps qu’elle assurait la prédominance bourgeoise, laissait aux forces populaires un assez libre jeu pour que l’avènement graduel de l’entière démocratie ne fût pas chimérique. Des germes de vie populaire abondaient dans la Constitution, malgré son caractère bourgeois, et cette complexité ajoutait singulièrement à sa puissance.

De plus, la vaste opération de finances entreprise par l’Assemblée avait réussi à merveille. Non seulement la vente des biens nationaux avait été rapide ; mais elle s’était faite à de hauts prix. Partout les adjudications avaient sensiblement dépassé les prix d’estimation. Dans sa substantielle et pénétrante étude sur la formation du département du Calvados, M. Le Brethon a donné le tableau des ventes avant le 1er août 1791. On y voit qu’à Caen les estimations avaient été de 6,114,230 livres ; les adjudications s’élevèrent à 8,227,429 livres, un quart en plus. À Bayeux, les estimations avaient été de 2,700,999 livres ; les adjudications s’étaient élevées à 4,945,011 livres. À Lisieux : estimations, 1,869,168 livres ; adjudications, 3,001,828 livres. À Falaise : estimations, 1,032,731 livres ; adjudications, 1,668,923 livres. À Vire : estimations, 865,928 livres ; adjudications, 1,389,735 livres. À Pont-l’Évêque : estimations, 1,703,382 livres ; adjudications, 2,538,991 livres. — Au total, les estimations avaient été, pour les ventes effectuées jusqu’au 1er août 1791, de 15,358,450 livres ; les adjudications avaient été de 21,771,128 livres : un quart en sus, et même un peu plus. C’était pour la Révolution un véritable triomphe. L’élan continua, et, six mois plus tard, d’après le relevé des ventes du premier trimestre de 1792, M. Le Brethon dresse ce tableau :

District de Caen.
En décembre 1791. . Estimation, 657,950 l. ; adjudication, 982,782 l.
En janvier 1792. . . .
730,115 l. ;
1,013,182 l.
En février 1792. . . .
337,451 l. ;
515,078 l.
En mars 1792. . . . .
454,038 l. ;
644,568 l.

Ainsi, non seulement la Révolution recueillait d’abondantes ressources et pouvait attendre sans crise que le fonctionnement régulier du nouveau système d’impôts assurât son budget, mais ces ventes attestaient une foi absolue de la nation en la Révolution même. Devant ces résultats, la Constituante était fière de son œuvre, et, malgré la lassitude de travaux immenses, malgré l’âpreté croissante des divisions entre révolutionnaires, elle avait confiance dans le jugement de la postérité. Elle était fière surtout d’avoir pu accomplir cette révolution immense dans un calme presque complet, que même le grand drame de la fuite du roi n’avait pu troubler. Calme si pro-