Page:Jaurès - Histoire socialiste, I.djvu/770

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
IV
HISTOIRE SOCIALISTE

histoire, n’en pourrait approfondir que quelques parties et n’aboutirait, dans l’ensemble, qu’à une esquisse superficielle tracée de seconde ou de troisième main. »

Certes, nul n’a plus que moi le sentiment des lacunes énormes qui existent dans l’histoire économique de la Révolution, et de l’insuffisance de mon effort personnel à les combler. Et je demanderai respectueusement à M. Aulard de joindre ses efforts aux nôtres pour obtenir que l’État, les ministères, la Société de l’Histoire de la Révolution française, la Ville de Paris, procèdent enfin à la publication des documents d’ordre économique qui intéressent la Révolution.

Jusqu’ici ce sont surtout les documents d’ordre politique qui ont été publiés, procès-verbaux des séances de la Constituante, de la Législative et de la Convention, procès-verbaux de la Commune de Paris, des séances du club des Jacobins, des actes du Comité du Salut public et de la correspondance des commissaires de la Convention ou encore des séances et travaux du Comité d’instruction publique. Belles publications et indispensables, où d’ailleurs, à qui sait bien lire, il est aisé de recueillir bien des éléments de la vie économique et sociale. Mais enfin la vie économique et sociale de la Révolution n’a pas été mise en pleine lumière et les documents admirables des archives des départements et de Paris sont hors de la portée de la plupart des chercheurs.

Il y a urgence à publier d’abord et à réunir tout ce qui pourra être trouvé des Cahiers des paroisses en 1789. C’est là qu’est la vraie pensée des paysans. C’est là que leur vie même se peint. Les cahiers rédigés par la bourgeoisie des villes ont sous prétexte de résumer, de simplifier, laissé tomber les revendications les plus vives. C’est moins de l’organisation politique de la société que de son organisation économique qu’étaient préoccupés les paysans. Très souvent ils disent : « Nous laissons à de plus savants le soin de tracer le plan d’une Constitution : mais voici quelles sont les conditions de notre vie, voici ce dont nous souffrons. »

Si l’on avait pour toutes les régions de la France, pour les pays de vin comme pour les pays de blé, pour les régions du littoral comme pour les grandes plaines du centre, ces cahiers si expressifs, si descriptifs, si amers parfois et si poignants, dont les cahiers de l’Autunois publiés par M. de Charmasse et les cahiers d’Eure-et-Loir que j’ai cités d’après un annuaire départemental nous donnent un échantillon, nous aurions le tableau le plus fourmillant et le plus varié de la France rurale.

Puis, il faudrait publier tous les documents relatifs à la vente des biens nationaux, des biens de première origine (biens d’Église) et des biens de seconde origine (biens de l’ordre de Malte et des émigrés). Si intéressantes et importantes que soient les études de M. Mines et de M. Lontchisky, qui ont eu le mérite d’ouvrir la voie, si utile que puisse être la contribution toute récente et trop sommaire de M. Lecarpentier sur la vente des biens nationaux dans la Seine Inférieure, il reste nécessaire d’avoir sous les yeux le détail même des opérations.

M. Rouvière l’a fait pour le Gard et, si un travail analogue était fait, systématiquement et avec un contrôle exact, pour tous les départements, nous aurions l’idée précise du plus vaste déplacement de propriété qui se soit produit depuis les invasions des Barbares. Il semble qu’en bien des points, la peur de désobliger les descendants des acquéreurs de biens nationaux dont plusieurs sont aujourd’hui contre-révolutionnaires, a arrêté les historiens et érudits locaux. Il est visible, par exemple, que M. Élie Rossignol, auteur d’un livre tout à fait substantiel et remarquable sur l’Histoire de l’arrondissement de Gailhac pendant la Révolution (Toulouse 1890), avait étudié très exactement le mouvement des ventes, mais qu’il garde pour lui une grande part de ses recherches : « Dès le 24 mai 1790, écrit-il, la municipalité de Gailhac se mettait à la recherche de capitalistes pour avoir les fonds nécessaires aux acquisitions qui pouvaient lui convenir ; le 13 août, elle délibérait de faire sa soumission pour tous les biens situés dans la commune, et le 22 « attendu les « grands avantages de ces acquisitions » elle étendait sa soumission aux biens situés dans les communes de Biens, Montans, Ennay et la paroisse de Gradille. Sa soumission fut reçue le 6 et 7 septembre ; mais le travail d’évaluation des biens traîna en longueur et la vente, approuvée le 11 mai 1791 par le