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HISTOIRE SOCIALISTE

plus de 100,000 livres chaque année. » Et Mirabeau constate que grâce à ce puissant outillage, la mine d’Anzin fait une concurrence victorieuse aux mines de Mons. « On sait, dit-il, avec quelle jalousie les mineurs de Mons ont toujours vu l’exploitation de cette mine. Ils fournissaient, avant qu’elle fût découverte, jusqu’à trois millions de mesures de charbon à 5 livres dix sous la mesure, du poids de 250 livres ; et la Compagnie d’Anzin qui donne aujourd’hui le même poids à 25 sous, fournit à la consommation de cinq provinces. » Voilà évidemment un premier type de la grande industrie capitaliste ; même à Sedan, à Abbeville il y avait de vastes manufactures. La manufacture de Van Rolais, à Abbeville, occupait plus de douze cents ouvriers et ouvrières soumis à un véritable encasernement industriel. Ouvriers et ouvrières étaient logés dans la fabrique : les quatre portes monumentales en étaient gardées par des concierges à la livrée du Roi, l’eau-de-vie en était rigoureusement écartée et une sévère discipline maintenait dans une obéissance muette tous ces prolétaires. Parfois, le corps de ville d’Abbeville prenait leur défense, et rappelait notamment au grand patron que les amendes infligées par lui ne devaient pas tomber dans la Caisse patronale, mais aller à la Caisse de secours des ouvriers.

Dans l’Est, l’industrie métallurgique grandissait si vite et les « usines à feu », comme on disait, consommaient une si grande quantité de bois que la région s’alarmait et demandait une limitation de l’industrie. Ce sont surtout les deux ordres privilégiés, préoccupés de maintenir la valeur prédominante du domaine foncier contre l’envahissement de la puissance industrielle, qui signalent le péril couru par les forêts. Le clergé de Sarreguemines, dans ses Cahiers, dit « que la cherté excessive du bois vient des usines à feu qui sont trop multipliées : il convient de prescrire la mesure de la consommation du bois qui peut être tolérée ». La noblesse du même baillage demande aussi « la réduction des usines à feu pour être remises à leur état primitif, d’après la première concession, vu l’augmentation du prix du bois qui devient très rare. » Les Cahiers de Bouzonville en Lorraine disent encore : « Le pays est couvert d’usines, forges, verreries, qui non seulement consomment énormément, mais encore administrent si mal les cantons de forêts qui leur sont attribués, qu’ils sont convertis en friche. Aussi la cherté du bois augmente au point que si sa Majesté ne défend pas l’exportation des bois de chauffage au moins et n’ordonne pas la réduction des usines, l’habitant de la campagne sera dans peu réduit à l’impossibilité physique de pourvoir à son chauffage ainsi qu’à la cuisson tant de ses aliments que de ceux de ses bestiaux. »

Ces doléances sont très intéressantes. Elles nous montrent déjà aux prises l’intérêt agrarien et l’intérêt industriel ou capitaliste. Elles nous permettent de prévoir le prochain développement des mines de charbon appelées à suppléer à l’insuffisance des forêts dont la puissance de végétation est dépassée par la puissance de consommation de l’industrie moderne. Et