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HISTOIRE SOCIALISTE

ret, les Rocoffort, les Degrais, les Passavant, les Lagier, les Muguet, les Van Risamburq.

En 1789, quand l’Assemblée nationale eut fixé à un quart du revenu net la contribution patriotique, Louis Tolozan de Montfort s’inscrit pour 20,000 livres, Antoine Régny pour 15,000, trois membres de la famille Finguerlin pour 30,000, Étienne Delessert pour 36,000, Paul-Benjamin Delessert pour 16,000.

De la lettre des maîtres marchands au directeur général des finances et du mémoire relatif aux opérations électorales, il résulte que les 400 maîtres marchands de la Grande Fabrique réunissent en propriétés mobilières ou foncières plus de 60 millions. Une ville d’une aussi puissante activité industrielle et marchande devait rejeter tout naturellement les privilèges surannés et les charges de l’ancien régime. Comment admettre des privilèges de la noblesse dans cette cité active et orgueilleuse qui créait tant de richesses et commandait à tant d’intérêts ? Comment souffrir qu’arbitrairement et sans l’assentiment de la nation et des intéressés, la monarchie prélève sur la ville de Lyon de lourds impôts pour assurer des pensions splendides à des courtisans comme Villeroy ? Comment admettre que cette classe productive et industrielle soit exclue de toute direction des affaires publiques ? Évidemment, Lyon, par son extraordinaire puissance bourgeoise, était orientée dans le sens de la Révolution, et les ouvriers des fabriques, désiraient, comme la bourgeoisie, qu’une aristocratie stérile tombât et qu’un système d’impôt plus intelligent à la fois et plus humain remplaçât cet octroi si pesant qui s’élevait à 2,500,000 livres, qui renchérissait le vin, la viande, le pain même et qui, en aggravant le prix de la vie ouvrière, nuisait aux manufactures comme aux ouvriers. Aussi c’est avec une passion ardente et grave que Lyon entrera dans le mouvement révolutionnaire.

Mais à raison même de son extrême développement industriel et de la structure complexe de son industrie, l’état de Lyon est trouble et instable, et on ne comprendra jamais son rôle énigmatique et étrange pendant la Révolution si on n’approfondit pas sa condition économique. D’abord, il y a eu à Lyon, plus je crois qu’en toute autre ville, pénétration de l’ancien régime et du nouveau régime bourgeois. La haute bourgeoisie, quand elle avait rempli les fonctions municipales, quand elle avait passé à l’échevinage ou au Consulat, était anoblie : elle formait ainsi une sorte de patriciat bourgeois encadré dans le privilège nobiliaire. Et inversement, la noblesse, elle-même, recrutée ainsi en partie dans la grande bourgeoisie industrielle et marchande, séduite d’ailleurs et fascinée par l’incomparable éclat du mouvement industriel, avait l’esprit assez hardi et ouvert aux conceptions modernes. Il faut lire avec beaucoup de soin les cahiers de la noblesse de la sénéchaussée de Lyon et ceux du Tiers-État pour discerner quelque différence. Non seulement l’ordre de la noblesse demande des États généraux périodiques et