Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/14

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n’y a sur cela ni loi ni coutume expresses. La jurisprudence parlementaire sur ce sujet est vraiment oppressive ; une seule reconnaissance, appuyée de la prescription de 30 ans suffisait, suivant tous nos auteurs, pour suppléer le titre primitif à l’égard de l’Église, du seigneur haut justicier, et il fallait deux reconnaissances à celui qui n’était que simple seigneur direct ; ainsi, c’était le seigneur haut justicier, c’est-à-dire celui qui avait le plus de moyens d’opprimer, à qui on fournissait plus de facilités pour s’arroger des droits qui ne lui étaient pas dus. S’il faut suivre de pareilles règles aujourd’hui, il n’est aucune usurpation qui ne soit à couvert de toute atteinte. Plus le titre était équivoque ou chimérique, plus on multipliait les reconnaissances (c’est-à-dire l’acquiescement formel du tenancier qu’on lui arrachait souvent par la menace). Et il n’est aucun des ci-devant seigneurs qui n’eût pris sur cela ses précautions… L’Assemblée représentative du Comtat venaissin, en adoptant les décrets de l’Assemblée nationale sur les droits féodaux, a laissé à l’écart celui dont j’ai l’honneur de vous entretenir. Elle a décrété que le titre primitif des droits féodaux conservés ne pourrait être remplacé que par deux reconnaissances antérieures à l’année 1614.

« Il nous faut nécessairement une loi semblable. Il faut que le temps qu’elle exigera pour établir les droits dénués de titre primitif puisse écarter toutes les usurpations ou, s’il en échappe quelqu’une, il faut qu’elle soit devenue en quelque sorte respectable par le long intervalle de temps qui l’aura cimentée.

« L’Assemblée, ouï le Procureur général syndic, a arrêté que les considérations exposées dans cette notice seront présentées au corps législatif pour qu’il veuille bien ordonner que lorsque les ci-devant seigneurs ne pourront produire le titre constitutif de leurs droits déclarés simplement rachetables, ils ne pourront y suppléer que par deux reconnaissances énonciatives d’une troisième et antérieures à l’an 1650. — Champelas, président. »

Ainsi ce n’est pas l’abolition sans rachat que demandent les cultivateurs : Ils ne l’osent point encore, mais il serait difficile à beaucoup de seigneurs de produire les titres demandés par le département des Basses-Alpes : et les droits féodaux tomberaient de fait.

Voici un extrait du registre des délibérations de l’Assemblée générale de MM. les administrateurs du département des Côtes-du-Nord, 6 décembre 1790.

« Sur la représentation faite par un membre de l’Assemblée que la dureté du régime féodal se perpétuera encore après sa proscription si le ci-devant vassal demeure assujetti à ne pouvoir rembourser les rentes déclarées rachetables par l’article 6 du décret du 4 août 1789 qu’autant qu’il rembourserait les droits casuels de lods et ventes et de rachats et qu’il affranchirait la contribution solidaire de ses consorts. (Quand plusieurs ex-vassaux étaient tenus solidairement à un droit, ils ne pouvaient se racheter chacun pour sa part : il fallait que le rachat eût lieu d’ensemble et c’était une difficulté de plus.)